Plutôt que d’investir une soixantaine de millions de dollars dans l’application ArriveCAN, Ottawa aurait pu embaucher 600 agents des services frontaliers pour un an, qui lui auraient donné un bien meilleur rendement à l’heure où il manque des milliers d’employés aux points d’entrée au pays, affirme le président national du Syndicat des douanes et de l’immigration.

Ce qu’il faut savoir

  • La vérificatrice générale du Canada a publié cette semaine un rapport dévastateur sur l’application ArriveCAN, dont elle estime le coût à 59,5 millions alors que le prix initial était de 80 000 $.
  • L’application ne servait pas à grand-chose et les humains étaient capables de faire un meilleur travail, selon le Syndicat des douanes et de l’immigration.
  • Le syndicat affirme que l’« échec » d’ArriveCAN découle d’une volonté du gouvernement de s’en remettre uniquement aux machines et de réduire le travail de ses membres aux frontières.

En tant que dirigeant syndical, Mark Weber dit n’être « pas particulièrement surpris » du rapport de la vérificatrice générale sur ArriveCAN.

« Dans l’ensemble, ArriveCAN était un échec. Je ne pense pas qu’elle livrait ce qu’elle était censée livrer », dit-il.

L’application, développée dans l’urgence de la pandémie de COVID-19, permettait aux voyageurs d’indiquer leur statut vaccinal et leurs coordonnées à leur arrivée au Canada. Dans son rapport, la vérificatrice générale Karen Hogan affirme que le projet a été miné par des lacunes et des faiblesses à toutes les étapes.

La facture initiale de 80 000 $ a explosé au fil des 177 mises à jour subséquentes, pour atteindre 59,5 millions, selon son estimation. La mauvaise tenue de livres au sein du gouvernement empêche toutefois de déterminer précisément l’argent englouti dans cette mésaventure, déplore-t-elle. Chose certaine, des consultants privés ont fait beaucoup d’argent au passage.

PHOTO FOURNIE PAR L’ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

Mark Weber, président national du Syndicat des douanes et de l’immigration

Cet argent aurait été très utile pour embaucher des effectifs. Il manque jusqu’à 3000 agents des services frontaliers selon nous actuellement. Je ne peux donner un chiffre exact, mais nous avons estimé qu’étant donné la facture d’environ 60 millions pour ArriveCAN, environ 600 agents auraient pu être embauchés pour un an.

Mark Weber, président national du Syndicat des douanes et de l’immigration

Actuellement, le manque de personnel est tel que le contrôle des voyageurs à l’entrée est beaucoup moins systématique qu’autrefois, dit-il. L’équipe qui cherche les véhicules volés dans les conteneurs au port de Montréal manque de beaucoup de bras pour accomplir son travail efficacement, ajoute-t-il. « Et pour le secteur ferroviaire, nous n’examinons plus vraiment ce qui rentre, tout simplement », affirme le syndicaliste.

« Tout est axé sur l’autodéclaration devant une machine, mais bien sûr les gens ne déclarent pas par eux-mêmes ce qu’ils veulent cacher, comme les armes ou les opioïdes », dit-il. Il remarque aussi que les files d’attente n’ont pas disparu après le remplacement des agents par des terminaux informatisés dans les aéroports où les voyageurs peuvent faire leur propre déclaration.

« L’argent investi dans les humains rapporte plus, dit-il. Une machine fait une seule tâche. Un agent peut mener une fouille, interviewer un voyageur, saisir de la contrebande, trouver une arme, retrouver un enfant disparu, toutes ces choses qu’une machine ne fait pas. »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Actuellement, le manque de personnel est tel que le contrôle des voyageurs à l’entrée est beaucoup moins systématique qu’autrefois, dit le président du Syndicat des douanes et de l’immigration.

Le syndicat remet aussi en question l’objectif derrière le développement de l’application. « L’objectif principal initialement était de recueillir des informations pour la Santé publique comme le lieu de résidence, les contacts avec des gens qui avaient la COVID-19. Il y avait une longue liste de questions auxquelles il fallait répondre, et beaucoup d’agents des services frontaliers se sont retrouvés à passer leur temps à aider les gens à utiliser l’application. À certains points d’entrée, il y avait de longues files d’attente qui se formaient, les agents étaient exaspérés. Les voyageurs auraient pu simplement nous montrer leur téléphone pour prouver qu’ils étaient vaccinés », affirme Mark Weber.

Autrefois, se souvient-il, des travailleurs de la Santé publique étaient affectés dans les aéroports. Ils auraient pu faire ce genre de vérifications, mais leurs postes ont été supprimés à des fins d’économie sous le gouvernement de Stephen Harper.

Réflexion sur les nouvelles technologies

Le syndicat espère que la controverse entourant ArriveCAN entraînera une réflexion sur l’usage de la technologie au sein de l’Agence des services frontaliers du Canada.

« Nous avons besoin de technologies, nous avons besoin de nouvelles machines à rayons X qui fonctionnent pour nos inspections, et de plusieurs outils pour le renseignement et d’autres tâches. La technologie peut vraiment nous aider à faire notre travail », souligne-t-il.

Mais si l’unique objectif est de remplacer les travailleurs, le résultat ne sera pas le même, croit-il. C’est une préoccupation qu’il entend beaucoup chez ses membres. « Nous sommes en négociation pour le renouvellement de la convention collective actuellement, et les gens ne me parlent pas seulement de salaire et d’avantages sociaux. Ils sont fiers de leur travail, ils veulent travailler plus, mais ils sont frustrés qu’on ne les laisse pas faire ce pour quoi ils ont été embauchés », dit-il.