Justin Trudeau a confié à l’actuel ambassadeur du Canada en Haïti, Sébastien Carrière, le rôle de sherpa de la Francophonie. Le diplomate passera en quelque sorte d’un terrain miné à un autre, les tensions entre le gouvernement canadien et l’OIF étant vives après qu’Ottawa eut amputé de 3 millions sa contribution à l’institution.

L’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) a été avisée du choix du premier ministre canadien mercredi dernier, a écrit à La Presse Oria Vande Weghe, porte-parole de la secrétaire générale, Louise Mushikiwabo.

Le sherpa pour la Francophonie travaille étroitement avec l’OIF et la secrétaire générale, auprès de qui il fait « la promotion de la position et des principaux intérêts du Canada », est-il décrit sur un site du gouvernement canadien.

Cette nomination est survenue au milieu d’une semaine mouvementée au siège de l’organisation, à Paris.

PHOTO TIRÉE DU SITE WEB D’AFFAIRES MONDIALES CANADA

L’actuel ambassadeur du Canada en Haïti et nouveau sherpa de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), Sébastien Carrière

Car quelques jours auparavant, la ministre canadienne des Affaires étrangères, Mélanie Joly, annonçait à l’OIF qu’elle sabrait son financement. Dans une lettre datée du 2 avril dernier, elle montrait du doigt les résultats « troublants » d’un sondage interne sur le climat de travail pour expliquer ces coupes.

Au bureau de Louise Mushikiwabo, on y a vu une vengeance de la part du Canada, selon ce qu’a signalé Mme Vande Weghe dans un texto. C’est que la secrétaire générale « avait été informée du risque de ‟représailles” du Canada si elle ne renouvelait pas le contrat de l’administrateur précédent », a-t-elle indiqué.

La porte-parole fait référence à la décision de ne pas prolonger, sans justification claire, le contrat du Canadien Geoffroi Montpetit, dont le départ a ouvert la porte à l’arrivée de Caroline St-Hilaire ; avant l’entrée en fonction de l’ex-candidate de la Coalition avenir Québec, Mme Mushikiwabo s’est arrogé des pouvoirs auparavant dévolus au numéro deux de l’OIF.

« Il s’agit bien d’une réaction de mécontentement de la part d’Ottawa », qui a « exprimé sa satisfaction sur la bonne gouvernance de l’OIF » lors du Sommet de Djerba, a soutenu Mme Vande Weghe. « Ce qui est sûr, c’est que la secrétaire générale n’est pas sensible à ce type de moyen de pression », a-t-elle tranché dans un échange avec La Presse.

Deux chapeaux

Le rôle de sherpa était occupé depuis juin 2019 par l’ancienne ambassadrice du Canada à Paris Isabelle Hudon. La tâche était toutefois moins en adéquation avec ses nouvelles responsabilités de présidente et cheffe de la direction de la Banque de développement du Canada, où elle a été nommée en août 2021.

L’envoyé d’Ottawa à Port-au-Prince cumulera les fonctions d’ambassadeur et de sherpa, comme c’est généralement le cas.

Je suis honoré de cette belle marque de confiance et heureux de cette superbe opportunité de faire rayonner la francophonie canadienne dans le monde.

Sébastien Carrière, ambassadeur du Canada en Haïti et nouveau sherpa de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF)

L’animosité qui règne entre Ottawa et l’OIF depuis que la Rwandaise est aux commandes de l’institution promet de garder l’ambassadeur Carrière occupé. Le diplomate a préféré ne pas trop s’avancer au sujet de ces tensions, lundi.

Le Canada et l’OIF en froid

Le Canada est le deuxième bailleur de fonds de l’OIF, après la France.

Le gouvernement Trudeau avait accepté en 2018 de retirer son appui à Michaëlle Jean pour se rallier à la candidature de Louise Mushikiwabo, favorite du président français, Emmanuel Macron, en échange d’une assurance que la chaise du numéro deux lui revienne.

La candidate canadienne s’était battue bec et ongles pour éviter que sa rivale rwandaise se hisse au sommet de l’organisation, citant notamment le piètre bilan du pays de Paul Kagame en matière de droits de la personne.

Selon un sondage interne réalisé au sein de l’OIF publié en 2023, 44 % des 207 employés pensent avoir été victimes de harcèlement moral au travail, tandis que 9 % croient avoir été victimes de harcèlement sexuel au travail.

C’est en réaction à ces résultats que la ministre Joly a décidé de réduire la contribution volontaire de 3 millions du Canada pour 2023-2024. La somme sera réallouée à d’autres opérateurs et institutions de la Francophonie, a-t-elle écrit à Mme Mushikiwabo le 2 avril dernier.

La contribution totale du Canada à l’OIF est d’environ 15 millions d’euros (22 millions CAD).