Pour une troisième journée de suite vendredi matin, le site du premier ministre Justin Trudeau est en difficulté, après l’attaque de pirates prorusses survenue à la suite de la visite de son homologue ukrainien Denys Shmyhal. La page flanche par intermittence et se charge très lentement.

Sur son compte Telegram, le groupe NoName057(16) continue de se vanter de ses méfaits sur des pages canadiennes, dont celui du chef du gouvernement. « Le site officiel du premier ministre Justin Bieber Trudeau était encore hors ligne vendredi matin après avoir été victime d’une attaque par déni de service », déclare-t-il.

CAPTURE D’ÉCRAN ISSUE DU COMPTE TELEGRAM DE NONAME057(16)

La communauté de la cybersécurité s’interroge sur la réaction du bureau du premier ministre à ces attaques par déni de service (DDoS) à succès.

Sur Twitter, des commentaires peu élogieux sur son équipe de télécommunications circulent. « Il y a deux options pour expliquer qu’un site web peut être mis hors service par des attaques DDoS si facilement. Soit ils les laissent faire intentionnellement, soit ils sont de f*** idiots », peut-on lire par exemple sur le compte MalwareHunterTeam.

L’ex-policier et expert en cybersécurité Paul Laurier ne penche pour aucune des deux options. Mais il considère « tout à fait anormal que le site du premier ministre, l’icône du pays, soit encore en difficulté ».

Dans les derniers jours, plusieurs sites internet ont subi le même genre d’attaques par DDoS. Elles consistent à submerger un site de requêtes de connexion à partir de centaines de milliers, voire de millions de robots, des ordinateurs que les pirates ont infiltrés.

Le site d’Hydro-Québec est tombé en panne jeudi, mais s’est remis de l’attaque. Les pages des ports de Montréal, de Québec et d’Halifax, celles des banques Laurentienne et TD, des entreprises Nova Bus et Matrox, notamment, ont aussi été mises hors ligne, avant d’être rétablies.

Les pirates ont fait une nouvelle victime aujourd’hui : le site de l’Association canadienne des industries de la défense.

Un appui direct de Moscou ?

Dans le cas du site du premier ministre, Paul Laurier croit que des agents de Moscou épaulent directement le groupe de cyberpirates qui revendique les attaques. « Il y a probablement une instance politique russe qui les soutient », dit-il.

Le spécialiste des cybermenaces Brett Callow, de la firme d’antivirus Emsisoft, sourcille lui aussi devant les problèmes à répétition qu’éprouve la page de Justin Trudeau. « Je suis surpris que le site du premier ministre soit, et soit encore vulnérable à ces attaques peu sophistiquées puisque techniquement, c’est facile de s’en défendre. »

Même si les pirates peuvent utiliser des millions de machines pour concentrer leurs attaques sur une cible, des compagnies offrent des outils efficaces pour faire face à ces attaques, dit-il.

Ils peuvent notamment empêcher les connexions en provenance de certains pays et détecter des instruments d’attaque connus, le trafic excessif et toutes sortes d’indices de requêtes hostiles.

La compagnie spécialisée Cloud Flare, mais aussi les géants du web comme Google, Microsoft et Amazon, offrent de tels outils, largement utilisés.

Selon les vérifications de Paul Laurier, rien n’indique que le site du premier ministre se soit connecté à Cloud Flare.

Si les attaques DDoS en elles-mêmes sont en principe simples à contrer, il prévient qu’elles ne sont pas pour autant « banales ». « Souvent, ça vient avec autre chose. On ne saura pas si des données ont été volées avant qu’une enquête soit terminée. »

Contacté par La Presse, le cabinet du premier ministre n’avait pas de commentaires vendredi. En conférence de presse avec son homologue ukrainien mercredi, Justin Trudeau s’est dit peu impressionné par les attaques prorusses.

« Laissez-moi être extrêmement clair : le fait que, pendant quelques heures, il y a eu une page du gouvernement qui a été difficile à accéder ne va nous dissuader en rien d’être présents et toujours là pour en faire plus pour soutenir l’Ukraine », a-t-il déclaré.

Avertissement de la Défense

Jeudi, la ministre de la Défense Anita Anand a publié un communiqué pour prévenir la communauté canadienne de la cybersécurité de faire particulièrement attention aux attaques en provenance de pirates prorusses, en « hausse remarquable » depuis l’invasion de l’Ukraine.

« Les organisations canadiennes et les exploitants d’infrastructures essentielles – qui exploitent les systèmes dont nous dépendons chaque jour – doivent être préparés à se protéger contre les activités connues de cybermenace », déclare-t-elle.

Elle met de l’avant les actions du Centre de sécurité des télécommunications (CST) et enjoint les organisations du pays à se montrer particulièrement prudentes.

« Chaque jour, les systèmes défensifs du CST bloquent entre trois et cinq milliards d’actions malveillantes qui ciblent les réseaux gouvernementaux », déclare-t-elle.