(Ottawa) Il n’y aura finalement pas d’enquête publique sur les abus dans le milieu sportif. Le gouvernement opte plutôt pour une commission indépendante dont le modèle s’apparentera à celui de la Commission de vérité et réconciliation.

La ministre fédérale du Sport, Carla Qualtrough, a présenté la Commission sur l’avenir du sport au Canada comme un mécanisme plus approprié qu’une enquête publique, lundi.

Le modèle retenu est calqué sur le modèle de la Commission de vérité et réconciliation, celui-ci étant, selon elle, « moins rigide » sur le plan juridique et plus respectueux des victimes.

Car le postulat est que des abus ont été commis dans le monde du sport, et « on ne veut pas que les victimes subissent des contre-interrogatoires » ou qu’elles prouvent qu’elles ont été traumatisées, a-t-elle plaidé.

Une enquête publique ne permettrait pas d’offrir un « espace sécuritaire aux victimes et aux survivants », et le sport étant de compétence provinciale, les négociations auraient pu mettre un an à aboutir, a-t-elle ajouté.

La Commission sera composée d’un commissaire indépendant et de deux conseillers spéciaux nommés pour une période de 18 mois.

Dans le cadre de son mandat, elle produira deux rapports et organisera un sommet national pour permettre aux participants de délibérer sur les conclusions et les recommandations préliminaires.

Comme il ne s’agit pas d’une enquête publique en vertu de la Loi sur les enquêtes, elle n’aura pas le pouvoir de contraindre des témoins à comparaître.

Pas une promesse non respectée, une « conclusion différente »

En mai dernier, Pascale St-Onge, la prédécesseure de Carla Qualtrough à la tête du ministère, s’était engagée à déclencher une enquête publique sur les abus dans le milieu du sport.

Il ne s’agit pas pour autant d’une promesse rompue, a argué celle qui a hérité du dossier dans le cadre d’un remaniement ministériel en juillet dernier.

« Bien que ma prédécesseure avait affirmé que c’était la direction que nous allions emprunter, une fois mon analyse effectuée, j’en suis venue à une conclusion légèrement différente », a soutenu Mme Qualtrough.

Dans sa déclaration liminaire, la ministre, qui est une ancienne athlète paralympique, a présenté les excuses du gouvernement aux athlètes canadiens qui ont subi des torts.

« Je reconnais, au nom du gouvernement du Canada, le fait que des athlètes et participants à des évènements sportifs ont été lésés, victimes d’abus ou maltraités dans le système sportif canadien », a-t-elle affirmé.

« Je suis désolée que cela vous soit arrivé. Le système sportif ne vous a pas protégés ou [n’a pas] réclamé des comptes à ceux qui vous ont fait du mal », a-t-elle laissé tomber.

Et aux survivants qui ont dénoncé les abus, « j’admire votre courage », a soufflé la ministre Qualtrough.

Le gouvernement « joue sur les mots », dit le Bloc québécois

L’annonce de lundi a déçu le bloquiste Sébastien Lemire, selon qui le gouvernement préfère « jouer sur les mots et créer des mécanismes éloignés de la demande simple et claire du milieu sportif ».

Loin d’être une enquête publique, la commission est « un processus volontaire qui n’oblige personne à venir témoigner ou à obtenir des documents des différentes fédérations sportives ou du ministère », a-t-il ajouté.

Deux comités de la Chambre ont consacré des mois à se pencher sur le fléau, après que le réseau sportif TSN a révélé qu’une jeune femme avait allégué avoir été violée par un groupe de joueurs d’Équipe Canada junior.

Au fil des rencontres, les élus ont entendu une kyrielle de récits d’abus ou d’injustices – au hockey, au soccer, en gymnastique, en escrime, en boxe, etc.

Une victime présumée satisfaite

Et les athlètes ont été nombreux à plaider qu’une enquête publique s’imposait.

La boxeuse olympique Myriam Da Silva Rondeau est l’une de celles qui ont lancé cet appel, il y a environ un an, devant le Comité permanent de la condition féminine.

« Une commission d’enquête sur la culture toxique de l’abus partout au Canada est absolument nécessaire, a-t-elle insisté. C’est ce que nous souhaitons tous. »

Lundi, l’ancienne skieuse Allison Forsyth, l’une de celles qui ont accusé l’entraîneur Bertrand Charest de les avoir agressées sexuellement, s’est rendue aux arguments de la ministre Qualtrough.

« J’ai déjà traversé un procès criminel et plusieurs poursuites ; je ne voudrais jamais qu’on me force à venir raconter mon histoire contre mon gré », a-t-elle exposé en entrevue à l’émission Power & Politics, de CBC.

« En tant que survivante, je suis très heureuse de ce que j’ai entendu aujourd’hui », a tranché l’ex-athlète, qui a conclu en octobre dernier une entente à l’amiable avec Canada Alpin en lien avec l’affaire Charest.