Éloquence, intérêt pour la politique… la voie professionnelle de Brian Mulroney est tracée : il sera avocat. Comme il veut pratiquer au Québec, il décide d’étudier à l’Université Laval : le Code civil plutôt que la common law britannique.

À la rentrée de septembre 1960, Mulroney arrive à Québec. Jean Lesage vient d’être élu, la Révolution tranquille est amorcée. Il fait des rencontres qui marqueront son parcours : Peter White et Michael Meighen, d’autres anglophones à la faculté de droit ; Bernard Roy, qui deviendra son chef de cabinet ; Jean Bazin, qui sera nommé sénateur tout comme Michel Cogger.

Et déjà, ce Lucien Bouchard, d’abord libéral, tenté par le Nouveau Parti démocratique, qui sera ministre conservateur avant de passer au Parti québécois, « une absence d’engagement permanent […], un trait de caractère que nous avions décelé chez lui », écrit Mulroney dans ses mémoires.

Diefenbaker consulte ce jeune étudiant qui influence même des nominations de magistrats.

Mulroney maintient son réseau chez les conservateurs à travers le pays. Il commence même à se voir premier ministre du Canada un jour, se souvient Peter White, cité dans la biographie publiée par Guy Gendron.

Les élections suivantes sont difficiles pour les tories au Québec, qui passent de 52 à 14 sièges en 1962 – les conservateurs sont réélus, mais ils sont désormais minoritaires.

Débuts dans le monde du droit

À Laval, Mulroney est un étudiant populaire. Il est élu président de l’association des étudiants en droit. Le cabinet Howard, Cate, Ogilvy lui offre un poste, à Montréal. Mais l’épreuve du Barreau n’est pas de tout repos. Mulroney échoue à sa première tentative. Il y parviendra l’année suivante, en 1965. Son père vient de mourir ; il amène sa mère et les deux plus jeunes vivre avec lui à Montréal.

La métropole est alors en effervescence. Le jeune avocat est dirigé vers les relations de travail, une spécialité qui lui va comme un gant ; il ne sera jamais un juriste de haut vol et ses origines modestes l’assurent d’un contact direct avec les leaders syndicaux. Il tisse rapidement un réseau de contacts avec les grands patrons et les présidents des centrales. Il était à la fois l’ami de Louis Laberge, président de la FTQ, et de Paul Desmarais, patron de Power Corporation.

Mulroney se lie d’amitié avec Paul Martin, autre futur premier ministre du Canada. Au départ du premier ministre libéral Lester B. Pearson, John Turner semble le successeur naturel. Au congrès à la direction de 1968, il sera coiffé au fil d’arrivée par un universitaire excentrique, le ministre de la Justice, Pierre Elliott Trudeau. À la fin des années 1960, Mulroney ne cache plus son ambition de devenir, un jour, premier ministre.

Des bouleversements

Arrive octobre 1970. Anglophone, représentant patronal, conservateur connu, Mulroney se sent menacé après les enlèvements de James Richard Cross et de Pierre Laporte. Il convainc le chef conservateur, Robert Stanfield, d’appuyer le recours à la Loi sur les mesures de guerre par le gouvernement Trudeau. Il expliquera plus tard regretter d’avoir cautionné ce geste fait sans avoir la preuve d’une « insurrection appréhendée ». Au moment de l’annonce de la mort de Laporte, Mulroney est avec Bernard Roy dans un chalet des Laurentides. Il dort avec un couteau sous son oreiller.

PHOTO PAUL-HENRI TALBOT, ARCHIVES LA PRESSE

Des soldats de l’armée canadienne montent la garde dans les rues de Montréal, le 3 décembre 1970. Le même jour, le diplomate britannique James Richard Cross a été libéré par le Front de libération du Québec.

À l’été 1972, Mulroney est devenu associé à son bureau d’avocats. Il travaille de très longues heures, fume et boit passablement. Après un marathon de négociations pour mettre fin au conflit de travail à La Presse, Mulroney, pour retomber sur ses pattes, s’inscrit au club de tennis Mount Royal. C’est alors qu’il rencontre une jeune étudiante en génie de l’Université Sir George Williams (aujourd’hui Concordia), Mila Pivnicki. Née à Sarajevo, fille d’un psychiatre, Mila a alors 19 ans, 14 de moins que Brian Mulroney. Après le coup de foudre de juillet, ils se fiancent en novembre et se marient en mai 1973.

PHOTO RON POLING, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Brian Mulroney et sa femme, Mila, lors d'un rassemblement conservateur à Fredericton, en 1988

Mars 1974, c’est le saccage de la Baie-James. Yvon Duhamel, permanent de la FTQ, cause 30 millions de dollars de dommages avec un bulldozer, conséquence d’une guérilla avec la CSN. Le climat sur le chantier était déjà toxique : drogue, prêt usuraire, intimidation. Le gouvernement Bourassa doit rétablir l’ordre. Le ministre du Travail, Jean Cournoyer, donne le mandat au juge Robert Cliche, qui avait enseigné à Mulroney à Laval, de diriger une enquête publique sur « l’exercice de la liberté syndicale dans l’industrie de la construction ». L’avocat patronal viendra représenter les employeurs.

Dans la lutte pour obtenir le monopole syndical, l’illégalité et l’anarchie régnaient, explique Mulroney dans ses mémoires. Il obtient que son ami Lucien Bouchard soit nommé procureur adjoint – « une occasion rêvée de jouer dans les ligues majeures », lui avait prédit Mulroney. Tout à coup, Mulroney se voit « propulsé à la une des journaux, et finalement préparé à gravir les échelons de la politique ».