Ottawa, 1975. Le chef conservateur Robert Stanfield, défait lors de trois élections par Pierre Elliott Trudeau, est en sursis.

La course à sa succession attire 11 prétendants, dont Brian Mulroney. Bilingue, issu du Québec, il a pour principal adversaire Claude Wagner. L’assurance de Mulroney lui joue des tours. Son inexpérience l’amène à faire une campagne destinée aux électeurs, alors qu’il s’agit avant tout d’avoir l’appui de délégués. Ses dépenses, surtout, sont critiquées. Mulroney parlera « d’erreurs qui ont permis à [ses] adversaires de [le] dépeindre comme un grand dépensier ».

Au surplus, Diefenbaker aura sa revanche ; dans son discours aux délégués, il prévient : « Le leadership du parti ne devrait jamais être confié à quelqu’un qui n’a jamais siégé aux Communes. » Or, le Montréalais est le seul aspirant à ne jamais avoir siégé au Parlement. Après quatre tours de scrutin, un inconnu, Joe Clark, l’emporte avec 51 % des voix, coiffant de peu Claude Wagner. Pierre Elliott Trudeau téléphonera à Mulroney pour le féliciter pour sa campagne. « Je suis très heureux de la décision du Parti conservateur. Si vous aviez été élu, cela n’aurait pas été une partie de plaisir pour moi », reconnaît Trudeau, dans un échange que relate Mulroney dans son autobiographie.

Un nouveau départ

Lendemains amers pour Mulroney, qui se retrouve lourdement endetté. Il a dépensé trois fois plus que Joe Clark. Son orgueil est atteint, il broie du noir et boit énormément. Chance extraordinaire, Hanna Mining, propriétaire de l’Iron Ore à Schefferville et au Labrador, cherche un patron, avec l’espoir de mettre un terme aux conflits de travail incessants qui grugent ses profits.

Issu de cette région, négociateur aguerri, Mulroney est taillé sur mesure pour ce « poste de rêve ».

Son attitude change profondément le climat dans l’entreprise. Rapidement, l’Iron Ore génère des profits – davantage en cinq ans que dans les 20 années précédentes. Jet privé, salaire mirobolant, coup de pouce pour acheter une somptueuse maison à Westmount, Mulroney vit une période faste. Il refuse une invitation de Pierre Trudeau à se porter candidat libéral avec à la clé un poste au Conseil des ministres. Mais il devient surtout un habitué du bar du Ritz-Carlton – juste avant son départ, en 1993, Mulroney fera nommer le gérant du Ritz, Fernand Roberge, au Sénat.

Les abus en public minent sa réputation. « J’avais développé ce qu’on ne pouvait nommer autrement qu’un sérieux problème d’alcool », convient-il dans son autobiographie. Il cesse de boire le 24 juin 1980, et sera abstinent par la suite.

En mai 1979, Joe Clark devient à 40 ans le plus jeune premier ministre de l’histoire canadienne. Pour Brian Mulroney, l’horizon politique paraît bouché, et pour longtemps. Mais le gouvernement Clark est défait à peine neuf mois plus tard. Les conservateurs perdent le pouvoir aux mains de Pierre Trudeau, au printemps 1980. Il faudra encore quelques années, mais les astres commencent à s’aligner pour Mulroney.