Du haut des tribunes, Ariane, Anthony et Henri écoutent attentivement la période des questions et analysent chaque détail de la joute serrée que se livrent l’opposition et le gouvernement. Ils notent méticuleusement les répliques qui s’ancrent selon eux dans des erreurs de raisonnement, ce qu’on leur enseigne à éviter dans les débats. Leur premier constat : ça va vite.

Mon déficit est moins pire que le tien !

La présidente de l’Assemblée nationale, Nathalie Roy, annonce le début de la période des questions. Dès les premiers échanges, le chef de l’opposition officielle, Marc Tanguay, questionne François Legault sur le déficit historique de 11 milliards que son gouvernement a annoncé dans son dernier budget. Le premier ministre relativise ce chiffre et donne un élément de perspective : il représente seulement 1,5 % du produit intérieur brut (PIB), dit-il. Il ajoute que d’anciens gouvernements libéraux ont déposé des budgets encore plus déficitaires quand on les compare au PIB. Les trois élèves présents au Salon bleu sont surpris. Selon eux, cette façon de recadrer le débat pourrait constituer un exemple de « double faute ». Selon ce qui est enseigné dans le cours de Culture et citoyenneté québécoise, cette erreur de raisonnement « consiste à tenter de justifier un comportement en signalant que d’autres font [ou ont fait] la même faute ou pire encore ».

Coupes ou réinvestissement ?

L’échange corsé entre Marc Tanguay et François Legault se poursuit. Le chef libéral relance le premier ministre au sujet des feux jaunes que les firmes de notation financière Moody’s et DBRS Morningstar ont allumés face à l’ampleur du déficit budgétaire du gouvernement. M. Tanguay demande à son vis-à-vis de proposer rapidement un plan de retour à l’équilibre budgétaire. Du tac au tac, M. Legault réplique qu’il pouvait réduire les services en santé et en éducation, comme les libéraux l’ont fait par le passé en imposant l’austérité, ou réinvestir dans les missions essentielles de l’État. La formule est efficace, notent les trois élèves, mais elle leur rappelle aussi la notion du « faux dilemme » : « présenter deux options comme les seules possibles, [et puisque] l’une est indésirable, l’autre est inévitablement le choix à faire ».

Des questions des deux côtés de la Chambre

Le député libéral André Fortin talonne le ministre de la Santé, Christian Dubé, au sujet des incertitudes concernant la construction d’un nouvel hôpital à Drummondville pour remplacer un établissement jugé vétuste. M. Dubé réplique qu’il est arrivé à la tête du réseau après des années de sous-financement des hôpitaux sous les libéraux, à l’exception des établissements de Montréal, ajoute-t-il. « Est-ce une coïncidence ? Je ne le sais pas, je pose la question », dit le ministre. Le jeune Anthony est surpris : « il peut dire ça sans donner de preuve ? », demande-t-il. Selon les trois élèves, cette façon de faire pourrait être perçue comme un « appel au complot », qui « consiste à conclure qu’une personne ou un groupe de personnes qui profitent d’une situation en sont l’origine ou la cause sans preuve suffisante ».

Débattre sur des sujets sensibles

Les trois élèves suivent avec attention les questions posées par l’opposition concernant le financement des maisons d’hébergement pour les femmes victimes de violence conjugale et sexuelle. Ces organismes réclament la création d’un programme de financement particulier pour réussir à créer de nouvelles places dans leur réseau saturé, alors que le gouvernement souhaite réduire le coût des projets. La députée libérale Brigitte Garceau affirme qu’elle espère « qu’on n’attend pas un autre féminicide avant d’agir ». La formule-choc fait réagir les députés du gouvernement, tout comme nos jeunes juges invités. Même s’ils considèrent le sujet comme très pertinent, ils se demandent si cette façon de cadrer le débat s’apparente à un « appel aux émotions », soit le fait de « détourner l’attention [dans son intervention] vers des réalités d’ordre affectif », ou bien une « fausse causalité », qui consiste en « une argumentation qui s’appuie sur un lien douteux de cause à effet entre deux phénomènes ».

Un moment sobre et apprécié

Le ton est posé, les questions sont précises et les réponses – malgré les désaccords – ne se défilent pas. Les trois élèves notent avec satisfaction l’échange entre la députée de Québec solidaire Christine Labrie et le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, au sujet de la terminaison, après un certain temps, de l’indemnisation pour des victimes d’actes criminels. « C’est un sujet très sérieux et lourd, mais le ton est calme et le débat nous amène quelque part », note Henri. « La députée reproche des trucs au gouvernement, mais ce n’est pas non plus agressif. Les deux s’écoutent parler. C’est comme ça que ça devrait plus souvent se passer », ajoute Ariane.

Quand les émotions l’emportent

Contrairement au précédent extrait, le ton monte souvent au Salon bleu, ce qui met en scène des attaques parfois personnelles et des répliques cinglantes. Selon Henri, Ariane et Anthony, les crescendos d’émotions qui teintent les débats – et il y en a eu au cours de la période des questions à laquelle ils ont assisté – ne permettent pas aux citoyens de bien saisir la complexité des enjeux ni de comprendre les solutions proposées de part et d’autre. « Ce sont des adversaires, ils ne sont pas du même parti, mais ce n’est pas entre eux qu’ils devraient se battre, mais contre les problèmes que le Québec vit », analyse Anthony. « Parfois, tout va bien dans un échange, puis ils ajoutent une petite insulte à la fin », se surprend Ariane. « Ce sont des enfantillages », tranche Henri.