(Saint-Georges et Lac-Mégantic) « Pour moi, tout dans la vie est beau. La vie est belle, il faut juste le voir », déclare Mégane Turcotte avec un large sourire. La jeune femme de 27 ans rencontrée à Saint-Georges de Beauce n’a pas toujours vu la vie ainsi. Sa mère, Diane Bizier, a péri au Musi-Café le 5 juillet 2013.

C’est une Mégane « très, très sombre » qui est entrée au cégep à l’automne suivant. « Je ne voyais pas l’intérêt de vivre sachant que tout peut arriver à n’importe qui, à n’importe quel moment. J’ai commencé à consommer, je n’allais plus à mes cours. »

PHOTO FOURNIE PAR LA FAMILLE

Mégane Turcotte et sa mère Diane Bizier

Lisez la lettre de Mégane Turcotte à sa mère quelques mois après la tragédie

À 18 ans, elle abandonne le cégep, puis rencontre un homme. « Ça faisait un an que la tragédie était arrivée, je pensais que c’était le truc vraiment merveilleux qui devait arriver après. Mais non, ç’a été une autre tragédie. » De cette relation contrôlante, marquée par le dénigrement et la violence, elle mettra des années à s’extirper.

Pendant des années, j’ai eu l’impression que le monde tournait sans moi, comme si j’étais bloquée à 17 ans. Quand je me suis réveillée, j’avais 23 ans.

Mégane Turcotte

Après avoir rompu, déménagé et changé d’emploi, elle est retournée aux études en soutien informatique et envisage de poursuivre en programmation de jeux vidéo.

« Toutes les épreuves qu’on rencontre dans une vie, on est capable de les affronter et de les surmonter. Ça, j’y crois dur comme fer. »

Au début juin, Mégane a appris que Amour mortel, le livre qu’elle a écrit sur sa relation toxique de quatre ans, avait été accepté par un éditeur, Les Éditions de l’Apothéose. La parution est prévue à l’automne.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Tristan Lecours avait 15 ans lorsque sa mère, Marie-Noëlle Faucher, a perdu la vie au Musi-Café. Devenu éducateur spécialisé, il est revenu travailler à la polyvalente Montignac de Lac-Mégantic, où il a lui-même fait ses études secondaires.

Inspiré dès la polyvalente

Tristan Lecours, lui, avait 15 ans lorsque sa mère, Marie-Noëlle Faucher, est morte au Musi-Café. Il a déménagé chez sa tante à Lac-Drolet, à une vingtaine de kilomètres, mais a continué à fréquenter Lac-Mégantic, sa polyvalente et son équipe au hockey. « La plupart de mes amis jouaient, donc on se retrouvait ensemble. C’est sûr que ça m’a beaucoup aidé, je me suis réfugié un peu là-dedans. »

Son secondaire terminé, il a séjourné une année en Finlande, puis s’est inscrit au cégep de Sherbrooke en éducation spécialisée.

« J’ai toujours aimé aider les gens et après la tragédie, un éducateur spécialisé de l’école m’avait aidé et inspiré par son approche », nous a expliqué M. Lecours, rencontré chez lui à Lac-Mégantic. Il a pu dire « à cette personne qu’elle avait fait une énorme différence », puisque depuis trois ans, il est lui-même éducateur spécialisé à la polyvalente Montignac.

La disparition de sa mère, à l’âge de 36 ans, lui a montré l’importance de ne pas tout repousser à la retraite.

Si ma mère avait fait ça, elle n’aurait jamais vécu ! Pour moi, ç’a été un apprentissage énorme. Ma mère était quelqu’un qui profitait beaucoup de la vie. Sans négliger mes responsabilités, il faut que j’aie du plaisir, que je sois heureux.

Tristan Lecours

Pour tous les jeunes

La bombe roulante qui a explosé le 5 juillet 2013 a laissé 27 orphelins dans son sillage. Et ils n’ont pas été les seuls jeunes affectés.

La majorité des élèves du primaire (71 %) et du secondaire (64 %) ont été exposés au déraillement (crainte pour leur vie ou celle d’un proche, évacuation, etc.), et « cela semble avoir eu des conséquences néfastes sur plusieurs aspects de [leur] santé psychologique », a constaté la Santé publique de l’Estrie dans une enquête réalisée en 2017, quatre ans après la tragédie1.

Ce n’est pas parce que tu n’as pas perdu un proche que tu ne peux pas vivre de l’empathie. On est une ville où tout le monde se connaît, donc je pense que tout le monde a été affecté, différemment.

Alysun Paradis

Dix ans plus tard, dans les corridors du cégep, « ce n’est pas un sujet qui revient couramment », note toutefois cette présidente sortante de l’Association générale étudiante du campus de Lac-Mégantic, qui avait 9 ans au moment des évènements.

PHOTO FOURNIE PAR ALYSUN PARADIS

Alysun Paradis, présidente sortante de l’Association générale étudiante du campus de Lac-Mégantic (cégep Beauce-Appalaches), a reçu la médaille du Lieutenant-gouverneur pour la jeunesse pour son engagement. Elle avait 9 ans au moment des évènements.

« Vu que ça fait 10 ans, la plupart des gens ont pu passer à autre chose. Oui, il y a eu une explosion, mais on est en train de se reconstruire. »

Après l’enquête de 2017, une travailleuse sociale consacrée aux jeunes s’est ajoutée à l’équipe de proximité vouée au rétablissement de Mégantic et un « comité participation citoyenne jeunesse » a été mis en place. Celui-ci s’est notamment impliqué dans le projet de planchodrome (skate park) et de piste à rouleaux (pump track) inauguré en 2021 dans le quartier Fatima.

  • Le planchodrome (skate park) et la piste à rouleaux (pump track), un projet dans lequel les jeunes de Lac-Mégantic ont été beaucoup impliqués.

    PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

    Le planchodrome (skate park) et la piste à rouleaux (pump track), un projet dans lequel les jeunes de Lac-Mégantic ont été beaucoup impliqués.

  • Le planchodrome (skate park) et la piste à rouleaux (pump track), un projet dans lequel les jeunes de Lac-Mégantic ont été beaucoup impliqués.

    PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

    Le planchodrome (skate park) et la piste à rouleaux (pump track), un projet dans lequel les jeunes de Lac-Mégantic ont été beaucoup impliqués.

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En janvier 2020, 72 % des élèves de la polyvalente Montignac considéraient leur santé mentale comme excellente ou très bonne et seulement 8 % la déclaraient passable ou mauvaise, montre un sondage réalisé auprès de 753 jeunes de cet établissement.

À mon avis, le portrait juste avant la pandémie était quand même très positif. Ça s’est un peu dégradé, probablement avec la pandémie, comme dans toutes nos écoles.

La Dre Mélissa Généreux, médecin-conseil à la direction de santé publique du CIUSSS de l’Estrie-CHUS.

En janvier 2023, l’Enquête sur la santé psychologique des 12-25 ans a sondé des élèves de quatre régions du Québec, dont l’Estrie. Et les jeunes de Montignac étaient aussi nombreux à se déclarer en très bonne ou excellente santé mentale (54 %) que ceux de l’ensemble des écoles secondaires (51 %), montrent les données fournies par la Dre Généreux.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

De gauche à droite, Marie-Claude Maillet, organisatrice communautaire dans l’équipe de proximité de Lac-Mégantic, Andréa Benjamin-Boucher, psychoéducatrice à la Direction de santé publique du CIUSSS de l’Estrie–CHUS, et la Dre Mélissa Généreux, médecin-conseil à la direction de santé publique du CIUSSS de l’Estrie-CHUS.

À Montignac, les symptômes d’anxiété ou de dépression modérés à sévères étaient même moins fréquents (31 %) que dans l’ensemble (38 %).

Les élèves de cette polyvalente étaient cependant plus portés à avoir des idées noires (29 %) que la moyenne (24 %).

« C’est beaucoup, 29 %, il y a quelque chose à creuser, mais qui n’apparaît pas spécifique à Montignac », précise la Dre Généreux, qui a constaté le même phénomène dans d’autres écoles publiques de l’Estrie.

« Oui, on a eu une histoire particulière, mais c’est difficile de comparer. Leur histoire est teintée par ça, tout comme chaque jeune a, dans sa vie, des difficultés qui teintent son parcours », fait valoir Marie-Claude Maillet, organisatrice communautaire dans l’équipe de proximité.

« Notre approche, c’est d’aller vers les jeunes et de construire avec eux la réponse à leurs besoins. »

1. Consultez l’enquête Le portrait des jeunes de la communauté de Lac-Mégantic