L’Australie vise à éradiquer le cancer du col de l’utérus d’ici 2035, l’Angleterre, d’ici 2040. Au Canada, c’est le cancer dont l’incidence grimpe le plus annuellement chez les femmes. Et les Québécoises attendent toujours le test de dépistage dont on sait depuis 2017 qu’il est plus efficace que le test Pap et qui avait été annoncé officiellement en mai 2022.

En entrevue avec La Presse en mars 2022, Lionel Carmant, ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux, a déclaré : « Le test Pap, c’est dépassé. »

En mai 2022, le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, a annoncé officiellement son remplacement par le test VPH – jugé plus sensible – comme test de dépistage primaire du cancer du col de l’utérus.

En 2023, au Québec, il n’est toujours offert qu’en clinique privée.

Si simple que le prélèvement peut se faire à la maison, ce test emploie une technologie moléculaire pour détecter l’ADN du virus du papillome humain (VPH) et ainsi dépister les génotypes les plus susceptibles de causer le cancer du col de l’utérus.

L’Australie (depuis 2017), le Royaume-Uni, les Pays-Bas, l’Italie et la Finlande ont déjà adopté le test VPH comme test de dépistage en première intention. Il est aussi utilisé en Colombie-Britannique et à l’Île-du-Prince-Édouard.

Dès 2017 au Québec, l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS) écrivait que « le test VPH se compare favorablement à la cytologie [le test Pap] ».

Ruée sur les tests VPH d’un projet pilote

Dans le système public, 400 femmes de l’Estrie y ont eu accès gratuitement dans le cadre d’un projet de recherche sur un autodépistage à faire à la maison. « Une campagne publicitaire était prévue, elle a été annulée : les 400 trousses ont été écoulées en quatre heures », explique l’instigatrice du projet, la Dre Jessica Ruel-Laliberté, que La Presse a interpellée.

Sur les 400 femmes, 11 % ont eu un test VPH indiquant qu’elles avaient des cellules précancéreuses. Elles ont été orientées pour un suivi qui leur a peut-être sauvé la vie.

Mais surtout, poursuit la Dre Ruel-Laliberté, « nous avons eu beaucoup de commentaires positifs de femmes, notamment de celles qui ont subi une agression sexuelle et qui nous ont dit qu’elles n’étaient pas du tout à l’aise d’avoir un examen gynécologique [et un test Pap] ».

La Dre Ruel-Laliberté insiste : le test VPH ne remplacera pas l’examen gynécologique. Seulement, tout indique qu’avec un test autrement moins invasif que le test Pap (inconfortable, voire douloureux pour certaines), on réussit à joindre des femmes qui ne se feraient pas tester autrement.

Au passage, la Dre Ruel-Laliberté souligne que Santé Canada vient d’homologuer un test appelé Switch Health, vendu 99 $, que les femmes peuvent faire venir à la maison. « Ce n’est clairement pas cela, la solution, estime la Dre Ruel-Laliberté. On ne veut pas d’une médecine à deux vitesses où les gens se font tester chez eux avec une compagnie privée. »

Les causes du retard

Mais pourquoi ce test VPH, offert dans d’autres pays depuis plusieurs années, n’est-il toujours pas disponible ?

Marie-Claude Lacasse, de la direction des communications au ministère de la Santé et des Services sociaux dit qu’effectivement, le Ministère a annoncé en 2022 « qu’il allait de l’avant avec les recommandations de l’INESSS d’implanter le test VPH comme test de dépistage primaire du col de l’utérus […] puisqu’il est plus sensible que le test Pap ».

Seulement voilà, ajoute-t-elle, « le déploiement du nouveau test exige également l’acquisition d’équipement spécifique. Les travaux dans le cadre du processus d’appel d’offres ont débuté à l’automne 2023 ».

Le gouvernement indique maintenant sur le site internet à ce sujet que « le remplacement se fera progressivement entre 2023 et 2025. Le test [Pap] pourrait continuer à être utilisé comme examen complémentaire dans certaines situations », peut-on lire.

De retour de la réunion la semaine dernière à Halifax du groupe de travail canadien pour l’élimination du cancer du col de l’utérus, la Dre Diane Francœur, gynécologue-obstétricienne, explique que pour ce qui est de l’autotest à faire à la maison, « le problème vient d’un problème d’homologation. Santé Canada n’a autorisé le test que lorsqu’il est utilisé par les professionnels ».

Mais alors, pourquoi les médecins eux-mêmes ne le proposent-ils pas ? La Dre Francœur explique que beaucoup reste manifestement à faire, que le test suppose par exemple la mise en place d’une base de données, d’un système de rappels, un peu comme pour la mammographie.

Aussi, souligne la Dre Ruel-Laliberté, « il faut que les laboratoires soient prêts », ce qui n’est pas le cas partout, maintenant, à travers la province.

En attendant, les chiffres sont mauvais

En tout cas, les chiffres sont mauvais. Alors que le cancer du poumon et le cancer colorectal continuent de régresser chez les deux sexes, chez les femmes, le cancer du col de l’utérus est maintenant celui dont l’incidence grimpe le plus rapidement, en hausse de 3,7 % par année depuis 2015, la plus forte hausse de ce cancer depuis 1984. En 2023, dit la Société canadienne du cancer, on prévoit que 1550 femmes au Canada recevront un diagnostic de cancer de col de l’utérus.

C’est un cancer qu’on peut largement prévenir et soigner, mais on n’arrive pas à faire diminuer les chiffres.

La Dre Jessica Ruel-Laliberté

Et les tests VPH encore non disponibles ne sont pas les seuls en cause. Car même s’ils étaient déjà déployés à grande échelle, d’autres problèmes demeurent. D’abord, note-t-elle, « il y a encore une certaine réticence des parents à faire vacciner leur enfant contre le cancer du col de l’utérus », alors qu’il est préférable de le faire avant les premières relations sexuelles.

En outre, « le tabagisme est un grand facteur de risque du cancer du col ». Le difficile accès aux médecins de famille complique aussi les choses.

À cela s’ajoute la pandémie, relève enfin la Dre Céline Bouchard, gynécologue. Pendant un bon bout de temps, les cabinets des médecins étaient fermés, avec pour conséquence que le nombre de tests Pap réalisés a fondu et que le dépistage a ainsi été mis à mal.

Quoi qu’il en soit, les tests VPH sont toujours attendus et la Dre Diane Francœur espère que le Québec, qu’elle croit de bonne foi dans ce dossier, pourra bientôt les offrir. « La santé des femmes doit devenir un enjeu majeur », et celui-ci en particulier, puisqu’un grand nombre de femmes sont à risque.

Lesquelles ? On est exposé au cancer du col « dès lors qu’on a un col de l’utérus et qu’on a des relations sexuelles ».

En savoir plus
  • 1 femme sur 168
    Proportion de femmes qui auront un cancer du col de l’utérus au cours de leur vie au Canada
    Source : INESSS, recommandations pour l’implantation du test de détection des virus du papillome humain, septembre 2023