Ils ont 13, 12, 11, voire 10 ans et sont… proches aidants. Pour leur frère, leur sœur ou leur parent. Un programme exclusivement destiné aux jeunes proches aidants a vu le jour dans le Centre-du-Québec, en novembre dernier. Une première dans la province.

Justine Tourigny n’avait que 3 ans lorsqu’elle a commencé à aider dans ses tâches quotidiennes son frère aîné Hubert, qui a la trisomie 21.

« Je l’aidais à mettre ses pantalons de neige », lance la jeune fille âgée de 10 ans. Aujourd’hui, c’est elle qui garde son frère, de cinq ans son aîné. « Comme pendant les jours de grève. »

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Justine Tourigny agit comme proche aidante pour son frère aîné, qui a la trisomie 21.

Le visage de Justine s’illumine en parlant de son frère, un passionné de hockey. Elle aime le soutenir dans ses activités, malgré les défis. « Des fois, il fait sa tête de cochon », dit-elle, en laissant échapper un petit rire. « Mais je me sens valorisée. »

« On lui a souvent répété qu’elle n’est pas obligée, que c’est la petite sœur et pas la maman, mais ça vient d’elle depuis toujours », confie sa mère, Annie Slater, à son côté.

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Justine Tourigny et sa mère, Annie Slater

Justine est la plus jeune participante du récent programme de l’Association des proches aidants Arthabaska-Érable, le tout premier au Québec destiné spécifiquement aux jeunes aidants qui prennent soin d’un proche, quel que soit le diagnostic. Ici, dans les bureaux de la rue Alice à Victoriaville, les proches aidants de 17 ans et moins peuvent se retrouver, après l’école ou pendant les journées pédagogiques. Pour faire des activités. Pour partager leur réalité. Et pour ne pas se sentir seuls.

« On associe encore beaucoup la proche aidance au vieillissement de la population », constate Kim Hausselman-Beaudoin, intervenante jeunesse à l’Association des proches aidants Arthabaska-Érable.

Or, les jeunes peuvent aussi apporter une aide inestimable.

Avec Justine, j’ai l’esprit tranquille. Je sais qu’elle va comprendre les besoins [de son frère], elle connaît son quotidien, puis elle sait ce qu’il aime et ce qu’il n’aime pas.

Annie Slater, mère de Justine Tourigny

Une réalité cachée

Au Québec, la réalité des jeunes proches aidants demeure largement méconnue. « En Europe et en Ontario, ça fait plus de 10 ans qu’on se préoccupe des jeunes proches aidants. Ici, on ne sait même pas ce que ça représente dans la population », dit François Melançon, agent de communication à l’Association des proches aidants Arthabaska-Érable. Il estime toutefois qu’il y a l’équivalent de quatre jeunes par classe qui sont des proches aidants.

Un grand nombre d’entre eux ignorent qu’ils sont des proches aidants ou choisissent de ne pas en parler avec leurs amis.

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Kim Hausselman-Beaudoin, intervenante jeunesse à l’Association des proches aidants Arthabaska-Érable

C’est tabou de dire : “mon frère a tel diagnostic ou tel handicap”, donc certains ne se sentent pas capables de se dire proche aidant. D’autres jeunes n’invitent pas des amis à la maison parce que maman a un diagnostic de santé mentale ou est malade.

Kim Hausselman-Beaudoin, intervenante jeunesse à l’Association des proches aidants Arthabaska-Érable

La réalité des jeunes proches aidants est souvent bien différente de celle des adultes. « Ils sont à l’école, dans une période pour socialiser, donc leur réalité de proche aidant peut leur mettre des bâtons dans les roues dans le développement de leur identité », explique Mme Hausselman-Beaudoin.

Une journée normale

C’est un lundi de tempête en décembre. Entre sa journée à l’école et son programme de cadet en soirée, Loufélix Gauthier trouve le temps de faire un tour aux bureaux de l’Association des proches aidants.

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Loufélix Gauthier, 13 ans, assume le rôle de jeune proche aidant pour son frère.

Depuis son jeune âge, le garçon de 13 ans assume le rôle de jeune proche aidant pour son frère Tao, 11 ans, qui a un trouble du spectre de l’autisme, le TDAH et une dyspraxie motrice. « Je n’en parle pas ouvertement à mes amis, mais souvent quand ils viennent chez moi, ils se rendent compte de ce que je dois faire pour mon frère. Pour moi, c’est normal, mais pour eux, c’est très différent », dit le jeune garçon assis près du sapin de Noël ornant la pièce.

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Justine Tourigny, Loufélix Gauthier, Anick Gosselin et Annie Slater dans les bureaux de l’Association des proches aidants Arthabaska-Érable à Victoriaville

Le défi d’être proche aidant ? « On n’est pas souvent libre, répond-il d’emblée. Souvent, je dois m’occuper de mon frère. Donc, je ne peux pas vraiment jouer avec mes amis. » Grâce au nouveau programme, l’élève de 1re secondaire a découvert que « d’autres enfants et adolescents vivent la même réalité que lui », explique sa mère, Anick Gosselin.

Besoin de répit

La pression d’être un jeune proche aidant peut être grande. Et les jeunes ne se sentent pas toujours à l’aise d’en parler à leurs parents. « Je le garde pas mal pour moi, parce que je trouve que c’est un peu un détail », confie Loufélix. Parce qu’il sait qu’il donne un important coup de pouce à ses parents.

Ça les aide. Ça leur donne du temps pour eux, pour faire leurs choses.

Loufélix Gauthier

Afin d’offrir des moments de répit à Loufélix, sa mère veille à ce qu’il n’ait pas toujours la même garde partagée que son frère. « Il y a des journées où je garde un enfant puis j’envoie l’autre chez son père. Pour que [Loufélix] puisse avoir un moment de qualité », dit Mme Gosselin.

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Loufélix Gauthier et sa mère, Anick Gosselin

Elle insiste sur la nécessité de fournir une oreille attentive et de faire connaître la réalité des proches aidants. « Souvent, tu penses que la réalité que tu vis, tu es le seul à la vivre. Mais ça permet de réaliser que d’autres familles vivent la même chose. »

D’autres initiatives visant à soutenir les jeunes proches aidants commencent à voir le jour au Québec. L’organisme Proche Aidance Québec propose des ressources en ligne pour les professionnels de l’éducation et de la santé travaillant avec de jeunes proches aidants, tandis que l’organisme L’Appui pour les proches aidants a élargi sa mission pour soutenir tous les aidants, indépendamment de leur âge.

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  • 27 %
    Pourcentage des Canadiens de 15 à 29 ans qui ont fourni des soins à un membre de la famille ou à un ami ayant un problème de santé de longue durée, une incapacité ou des problèmes liés au vieillissement.
    source : Statistique Canada, en 2012