Précision : Dans un dossier intitulé « Pratiques « inutiles », factures salées » publié le 20 novembre 2023, nous avons écrit que les experts consultés par La Presse étaient d’avis que le fait de pratiquer des incisions relaxantes suite à l’implantation d’une lentille torique tel que pratiqué par les Cliniques d’ophtalmologie Bellevue pour les opérations réfractives de la cataracte était superflu et inutile. Or, selon des informations fournies par les Cliniques d’ophtalmologie Bellevue, plusieurs spécialistes reconnus en la matière seraient d’accord avec cette pratique visant une correction optimale de l’astigmatisme lors des chirurgies phacoréfractives. De plus, les Cliniques d’ophtalmologie Bellevue affirment effectuer 2 à 3 biométries optiques en préparation des chirurgies phacoréfractives, en plus de la biométrie ultrasonique. Enfin, selon des informations fournies par les Cliniques d’ophtalmologie Bellevue, leurs factures seraient compétitives par rapport à celles des autres cliniques spécialisées dans le domaine au Québec.

Les cliniques Bellevue procèdent à des tests chez les patients subissant une opération réfractive de la cataracte, même si ces examens – dont le coût peut s’élever à plusieurs centaines de dollars – ne sont pas appropriés pour tous.

En vue de son opération de cataractes, Louise Moreau a subi une biométrie ultrasonique, une procédure pour déterminer la puissance des lentilles qu’on devait lui poser. Le coût s’est élevé à 200 $, soit 100 $ par œil. Ce fut le cas également des deux autres patients dont La Presse a obtenu les factures.

« La biométrie ultrasonique peut s’avérer nécessaire quand il y a une cataracte extrêmement dense, mais ce sont des cas devenus rares de nos jours », selon le DPaul Thompson, ophtalmologiste au Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM).

La majorité des ophtalmologistes ne se fient d’ailleurs plus à cette technique et optent plutôt pour la biométrie optique, explique le DThompson. « Faire une biométrie [ultrasonique] alors que la biométrie optique est dix fois plus précise, c’est illogique et inutile », dit-il.

« De nos jours, ce qu’on utilise pour avoir le plus de précision possible, ce sont des biométries optiques. La performance de ces biométries est nettement supérieure à celle des biométries ultrasoniques », seconde le Dr Éric Fortin, coordonnateur clinique du Centre universitaire d’ophtalmologie de l’Université de Montréal.

Mais la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) ne couvre que la biométrie optique. Les ophtalmologistes peuvent donc facturer à leurs patients une biométrie ultrasonique, comme ce fut le cas de Louise Moreau.

Selon le guide de facturation de la RAMQ, l’ophtalmologiste perçoit une rémunération de 28,35 $ du régime public pour la réalisation d’une biométrie optique pour un seul œil et 44,90 $ pour les deux yeux. En optant pour une biométrie ultrasonique, l’ophtalmologiste a la possibilité de facturer au patient le montant de son choix.

Si la biométrie ultrasonique était couverte et remboursée par la RAMQ, « la vaste majorité des ophtalmologistes ne ferait probablement tout simplement plus cet examen pour la vaste majorité des patients », estime la Dre Marie-Claude Blouin, ophtalmologiste de l’Hôtel-Dieu de Sorel.

De son côté, le Collège des médecins n’a pas voulu se prononcer sur le sujet, disant ne pas être une « société savante », a précisé la conseillère principale des relations médias, Leslie Labranche.

Les cliniques Bellevue n’ont pas expliqué pourquoi elles optent pour des biométries ultrasoniques plutôt que pour des biométries optiques. « La biométrie ultrasonique fait partie de notre protocole de chirurgie réfractive et est un service non assuré en cabinet », s’est contentée de répondre leur directrice des opérations médicales et chirurgicales, Mylaine Beaudry.

« Ça m’a fatigué »

Au moment de son opération, Louise Moreau a dû débourser 120 $ pour des « tomographies par cohérence optique du segment postérieur post-opératoire », des tests pourtant réalisés plus tard, dans les semaines suivant l’opération des cataractes.

Or, au Québec, les médecins ne peuvent facturer d’avance un test au patient qui n’est pas encore réalisé, mais seulement projeté. Selon le Collège des médecins, « sauf exception, le principe est selon lequel les honoraires sont réclamés lorsque les services sont rendus et non à l’avance », a indiqué la conseillère principale des relations médias, Leslie Labranche.

« Ça m’a fatigué. Moi, je n’aimerais pas payer pour un test que je n’ai pas eu, personnellement », dit le président de l’Association des médecins ophtalmologistes du Québec, le DSalim Lahoud.

Les cliniques Bellevue affirment que « tous les examens pré- et post-opératoires nécessaires pour la chirurgie réfractive sont facturés le jour de l’intervention ».

Par ailleurs, le DPaul Thompson juge que cette procédure n’est pas recommandée d’emblée à tous les patients. « Ce n’est pas tous les opérés qui en auront besoin. Si le patient obtient une acuité visuelle normale après son intervention, je ne vois pas pourquoi on ferait une tomographie », dit-il. Il estime que la procédure est justifiée seulement chez un petit pourcentage des patients.

« Il s’agit plutôt, selon l’évolution post-opératoire et l’acuité visuelle du patient, de déterminer, selon le jugement clinique du médecin, si cet examen est réellement nécessaire », renchérit la Dre Marie-Claude Blouin.

« Dans ma pratique, je ne le fais pas à tous les patients », dit pour sa part le DFortin. Il précise toutefois que ce n’est pas un sujet qui fait l’unanimité auprès des ophtalmologistes. « Plusieurs ophtalmologistes suggèrent qu’on devrait pratiquement obtenir [ce test] à chaque visite tant l’examen est utile pour détecter des pathologies subtiles de la macula. »

Les cliniques Bellevue soutiennent que cet examen est une « partie essentielle » de leur protocole chirurgical.

Le Collège des médecins du Québec n’a pas voulu se prononcer sur le cas des cliniques Bellevue. « Cela dit, cette situation mériterait que nous fassions davantage de vérifications », a toutefois précisé la conseillère principale des relations médias, Leslie Labranche. Elle souligne que les patients qui le souhaitent peuvent déposer une demande d’enquête au Collège des médecins.