« On m’avait dit que c’était comme prendre une pilule de sucre. Qu’il n’y avait pas d’effet secondaire », se remémore Anna-Liisa Aunio.

La jeune femme s’était fait prescrire le médicament Singulair pour contrôler son asthme en 2007. Alors étudiante à McGill, à Montréal, pour sa thèse de doctorat, Mme Aunio s’est mise à souffrir d’une dépression sévère quelques semaines après avoir commencé à prendre le médicament. « Je n’ai pas d’antécédents de dépression. Et ça m’a frappée très rapidement. »

La jeune femme avait entendu parler de suicides signalés aux États-Unis en lien avec Singulair. « J’ai demandé à ma psychiatre si ma dépression pouvait être due au Singulair, mais elle ne savait rien à ce sujet à l’époque », se rappelle celle qui est aujourd’hui enseignante au collège Dawson.

Voyant de plus en plus de recherches sur les effets secondaires du médicament, elle a décidé de cesser de prendre la médication en 2010. Ses effets négatifs ont grandement diminué, mais n’ont jamais complètement cessé.

De 10 à 15 % des enfants touchés

La Dre Francine Ducharme, spécialiste de l’asthme chez les enfants, fait partie des chercheurs qui ont étudié les effets secondaires du médicament. Elle se rappelle l’histoire d’une patiente qu’elle a mise sur Singulair. « Son papa m’a appelée deux semaines après et m’a dit : “Ma petite princesse est devenue une bitch.” »

La fillette était devenue agressive et irritable. Quand les parents ont arrêté la prise du médicament, l’état de leur fille est revenu à la normale. Puis quand ils ont réessayé le médicament, ses symptômes sont revenus.

Intriguée, la Dre Ducharme a décidé d’explorer le sujet. Elle a demandé le consentement des patients de la clinique d’asthme du CHU Sainte-Justine pour accéder à leurs dossiers médicaux à des fins de recherche. Elle a ensuite analysé et comparé les résultats des patients traités avec du Singulair (montélukast) à ceux des patients traités avec des corticostéroïdes, un traitement populaire contre l’asthme.

Les résultats de son étude, publiée en 2017, sont sans équivoque : « On s’est rendu compte qu’il y avait 10 à 15 % des enfants qui avaient un effet secondaire neuropsychiatrique avec le montélukast », dit la Dre Ducharme. Cela inclut un effet sur le sommeil, « comme un délai d’endormissement ou des terreurs nocturnes », et des effets sur l’humeur, où « les enfants sont tristes ou irritables ».

Elle précise que les premiers effets secondaires surviennent généralement dans les deux premières semaines, tandis que les suicides tendent à se produire de deux à quatre ans après le début de la prise du médicament. « Environ 85 % n’ont aucun effet secondaire », précise toutefois la Dre Ducharme.

Les enfants sont généralement « plus à risque que les adultes » d’avoir des effets neuropsychiatriques, indique le DLarry Lands, directeur de la division de médecine respiratoire à l’Hôpital de Montréal pour enfants. Des études réalisées chez les rats suggèrent d’ailleurs que le médicament pourrait agir directement sur les cellules du cerveau.

Prévenir les familles

Santé Canada rappelle aux professionnels de la santé de rester à l’affût de tout changement de comportement ou de tout nouveau symptôme pendant la prise de Singulair et de cesser de prendre le médicament si un changement de comportement est observé.

« On prévient toutes nos familles que ça peut causer des effets comme un changement de comportement. Si elles notent un changement, elles doivent arrêter le médicament et normalement les effets secondaires [disparaissent] en deux ou trois jours », dit le DLands.

L’Ordre des pharmaciens du Québec rappelle pour sa part que « les pharmaciens ont la responsabilité de se tenir informés sur les nouvelles études publiées sur les médicaments qu’ils distribuent et d’accompagner adéquatement leurs patients en tenant compte des avancées scientifiques ».

La Dre Francine Ducharme, pédiatre et épidémiologiste clinique au CHU Sainte-Justine, lance un message aux professionnels de la santé : « Si vous le prescrivez, il faut que vous ayez le temps d’expliquer. Le plus important, c’est que les gens soient au courant que ça peut arriver. »