(Washington) On a beaucoup parlé de la hausse du niveau de la mer. Ce n’est pas seulement la hausse moyenne qui pose problème, mais les extrêmes – lors de tempêtes ou de marées inhabituelles. Ces extrêmes sont difficiles à modéliser, ont témoigné des océanographes lors du dernier congrès annuel de l’Association américaine pour l’avancement des sciences (AAAS), début mars à Washington.

Marées et densité

Plus de 20 cm depuis 1900. De 60 cm à plus d’un mètre d’ici 2100, si l’humain cesse d’émettre des gaz à effet de serre d’ici la fin du XXIe siècle. La hausse du niveau de la mer fait peur.

Pour comprendre son impact sur les riverains des océans, ces chiffres ne suffisent pas, a expliqué Philippe Thompson, océanographe de l’Université d’Hawaii, au congrès de l’AAAS. « Il faut tenir compte de plusieurs autres facteurs, la pente et la nature des rives, les variations des marées, l’expansion thermique de l’eau quand elle se réchauffe. »

Son collègue de la NASA Benjamin Hamlington, aussi océanographe, a ajouté que les phénomènes météorologiques comme El Niño et La Niña jouent aussi un rôle. « Il faut tenir compte de tout pour vraiment voir l’impact sur un site », a dit M. Hamlington.

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Le parc national Puʻuhonua o Hōnaunau à Hawaii

Les habitudes des populations locales doivent aussi être prises en compte. « Quand j’habitais à Norfolk, en Virginie, une rue voisine était régulièrement inondée à marée haute, dit M. Hamlington. Les gens qui habitaient là étaient habitués à tenir compte des prévisions de marées pour prévoir où stationner leur voiture, par où passer pour aller au travail ou amener les enfants à l’école. Ils étaient prêts. Mais si les choses changent et que des inondations touchent plus régulièrement des rues actuellement rarement touchées par les marées, les habitants de ces rues peuvent être pris par surprise. »

M. Thompson a donné en exemple le parc national Puʻuhonua o Hōnaunau à Hawaii. Un projet de recherche qu’il a mené montre que les inondations extrêmes, survenant tous les 10 ans, ne changeront pas beaucoup dans le parc dans les prochaines décennies. Mais les inondations à marée haute deviendront 10 fois plus fréquentes d’ici 2040, touchant notamment la zone la plus fréquentée du parc.

Et comme ces marées hautes extrêmes sont souvent regroupées, cela signifie que plusieurs fois par année, cette zone populaire du parc deviendra inaccessible pendant plusieurs jours. La marée descend, mais revient le lendemain, alors on ne peut pas vraiment continuer les activités normales.

Philippe Thompson, océanographe de l’Université d’Hawaii

Cette zone particulièrement fréquentée du parc Puʻuhonua o Hōnaunau est vulnérable aux marées extrêmes à cause de la géométrie des récifs de la côte, ce qui n’est apparu qu’avec les outils de modélisation sophistiqués utilisés par M. Thompson.

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Les îles de la Madeleine sont touchées par le problème de subsidence.

Le problème de la hausse du niveau de la mer est compliqué par les mouvements de la croûte terrestre. M. Thompson travaille aussi dans les îles Samoa américaines, qui s’enfoncent de plus en plus vite dans l’océan Pacifique. Un affaissement appelé « subsidence », qui double l’impact de la hausse du niveau de la mer. Plus près de nous, ce problème de subsidence touche aussi les îles de la Madeleine.

La Lune

Un cycle lunaire de 18 ans, durant lequel la Lune atténue les marées pendant 9 ans, puis les accentue pendant 9 autres années, complique les choses. MM. Hamplington et Thompson ont publié en 2021, dans la revue Nature Climate Change, une étude montrant que d’ici le milieu des années 2030, le cycle lunaire diminue l’intensité des marées, ce qui masque l’effet de l’augmentation du niveau de la mer. Cela signifie qu’à Honolulu, les inondations à marée haute vont passer de 2 à 63 par année entre 2035 et 2045, à Boston de 6 à 46 par année et à St. Petersburg, en Floride, de 6 à 67 par année. « On utilise le terme d’inondations gênantes [nuisance flooding] pour désigner ces marées extrêmes, mais si on n’adapte pas les infrastructures côtières, on ne parlera plus de gêne, mais d’un impact réel sur la vie quotidienne », dit M. Hamlington.

Les inondations de nuisance sont définies par une marée un demi-mètre plus élevée que la moyenne annuelle historique.

L’Asie…

PHOTO JAM STA ROSA, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

La capitale philippine a été durement frappée par la tempête Nalgae en octobre dernier. En 2100, Manille devrait connaître des inondations entre 18 et 96 fois plus fréquentes qu’aujourd’hui.

Les mégapoles asiatiques, particulièrement celles des pays émergents, sont vulnérables à la hausse du niveau de la mer. Alors même que le congrès annuel de l’AAAS battait son plein, une étude publiée dans Nature Climate Change par le CNRS français et le Centre national de recherche atmosphérique de Denver montrait que parmi les régions les plus vulnérables aux inondations en 2100, on trouve l’Asie du Sud-Est, l’Australie et la côte ouest américaine. Dans ces deux derniers cas, la richesse de ces pays permettra de financer l’adaptation à cette fréquence accrue d’inondations. Ce n’est pas le cas dans l’Asie du Sud-Est. Pire, la mousson dans cette région du globe aggrave le problème. À Manille, les inondations seront entre 18 et 96 fois plus fréquentes.

Une organisatrice de la séance sur les extrêmes côtiers du congrès de l’AAAS, Krupali Krusche, de l’Université de Notre-Dame, a justement étudié l’impact de la hausse du niveau de la mer à Bombay, en Inde, plus particulièrement sur les quelques millions de petits pêcheurs de la côte est de la péninsule de cette mégapole de 13 millions d’habitants.

Ils dépendent de l’accès aux marchés de Bombay. Ce commerce est beaucoup plus compliqué lors d’inondations. Selon mes calculs, au moins un million de personnes seront affectées par la difficulté pour les pêcheurs de continuer à gagner leur vie de manière stable.

Krupali Krusche, de l’Université de Notre-Dame

… et la Méditerranée

Mme Krusche est spécialiste de la numérisation des sites patrimoniaux, pour pouvoir les stabiliser avec des interventions architecturales. Elle a notamment aidé à planifier les travaux de sauvetage du Taj Mahal, en Inde, fragilisé par un tremblement de terre en 2015, et établi les zones les plus à risque de dégradation dans le Forum romain, dans la capitale italienne. Ces dernières années, elle a lancé un programme de numérisation des infrastructures côtières pour aider à les protéger des inondations plus fréquentes.

Beaucoup de sites du patrimoine mondial sont sur les côtes.

Krupali Krusche, de l’Université de Notre-Dame

PHOTO SAAD BAKHOUCHE, GETTY IMAGES

La Casbah d’Alger et sa citadelle se retrouveront en zone inondable en 2100, selon une étude publiée en 2018.

En 2018, une étude dans Nature Communications a conclu que 80 % des sites du patrimoine mondial de la Méditerranée seront dans une zone inondable en 2100, notamment la Casbah d’Alger et la ville médiévale de Rhodes.

Le cas de Venise

PHOTO CLAUDIO FURLAN, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Depuis 2020, un système de barrières se hisse à l’embouchure de la lagune de Venise lors des marées exceptionnelles.

La Cité des Doges est l’une des premières à avoir agi face au problème de la montée des eaux. Depuis 2020, un système de barrières appelé MOSE (module expérimental électromécanique) se hisse à l’embouchure de la lagune de Venise lors des marées exceptionnelles, appelées acqua alta. MOSE a notamment protégé Venise lors d’une aqua alta record de 2 m en novembre dernier. Mais des modélisations récentes ont montré que MOSE devrait être activé tellement souvent en 2100 que la lagune risque d’avoir des problèmes d’oxygénation.

Un satellite à la rescousse

IMAGE TIRÉE DU COMPTE TWITTER DE LA NASA

Image du niveau de la mer obtenue avec le satellite SWOT

Pour bien modéliser les risques d’inondations, il faut des données très précises. MM. Thompson et Hamlington ont louangé à Washington les données du satellite canado-américain SWOT, lancé en décembre dernier. Il permet notamment de voir des courants et boucles océaniques de seulement 20 km de diamètre.

En savoir plus
  • 600
    Nombre d’inondations gênantes aux États-Unis en 2019
    Source : National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) des États-Unis
    600 000
    Nombre de personnes touchées par des inondations gênantes aux États-Unis en 2019
    Source : NOAA