Notre journaliste assiste à Denver à la réunion annuelle de l’Association américaine pour l’avancement des sciences (AAAS), la plus grande rencontre de science généraliste au monde.

(Denver, Colorado) Depuis près de 40 ans, Robert Cialdini est le pape de la psychologie de la persuasion. Le psychologue américain veut maintenant convaincre la population de changer ses habitudes pour contrer les changements climatiques.

« Les changements de comportement nécessaires pour sauver la planète sont importants », explique le professeur de l’Université d’État de l’Arizona, en entrevue avant sa présentation à la réunion de l’AAAS. « Disséminer l’information ne suffira pas. Il faut motiver les gens à utiliser ces informations. »

L’une des études de M. Cialdini a comparé l’impact de deux campagnes de sensibilisation au gaspillage d’eau. La première indiquait que 48 % des étudiants mettaient en pratique certains comportements antigaspillage comme fermer le robinet pendant qu’on se brosse les dents. La deuxième ajoutait que cette proportion avait augmenté de 37 % depuis deux ans. La seconde campagne a conduit à une consommation d’eau réduite de 30 % par rapport à la première campagne.

Il s’agit de l’application de l’un des six « principes de la persuasion » décrits en 1984 par M. Cialdini dans Influence, un livre qui s’est vendu à cinq millions d’exemplaires et a été traduit en 48 langues. « Les gens sont très sensibles aux normes sociales, dit-il. Si un comportement minoritaire est de plus en plus répandu, il est tentant de l’adopter, pour éviter d’être parmi les derniers à ne pas respecter ce qui semble devenir une norme universelle. »

Marketing, publicité et ventes

M. Cialdini a décidé de consacrer sa carrière à l’étude de la persuasion après s’être fait vendre un abonnement à Sports Illustrated à l’université. « Je n’avais pas beaucoup d’argent et ne m’intéressais pas beaucoup aux sports. Mais j’avais généralement de la difficulté à dire non. Le vendeur m’avait dit que Sports Illustrated était considéré comme le meilleur magazine sportif par les experts du domaine, que beaucoup de mes voisins au dortoir universitaire s’étaient abonnés et que c’était le dernier jour d’un tarif promotionnel. Il avait utilisé trois des six principes que j’ai fini par identifier dans Influence : citer des experts, invoquer des normes sociales et donner une impression de pénurie. »

PHOTO TIRÉE DU SITE DE L’UNIVERSITÉ D’ÉTAT DE L’ARIZONA

Le psychologue Robert Cialdini

Pour isoler ces six principes, M. Cialdini s’est inscrit à des cours professionnels dans des domaines où la capacité à persuader autrui est cruciale : les ventes, la publicité, le marketing et les relations publiques. « Chaque domaine avait l’impression d’avoir une recette différente des autres, dit-il. Mais j’ai vite compris qu’il y avait des éléments communs, ces six principes. »

Les six principes de la persuasion selon Robert Cialdini

  • Réciprocité : Si on donne quelque chose à quelqu’un, il se sentira obligé de redonner.
  • Pénurie : Si un bien ou un service existe en quantité limitée, il devient plus désirable.
  • Autorité : L’appui d’experts rend une proposition plus convaincante.
  • Cohérence : Pour faire accepter un gros changement, mieux vaut commencer par un petit pas. C’est le principe du « bras dans le tordeur ».
  • Affinité : On dit plus souvent oui à quelqu’un qui nous plaît.
  • Renforcement social : Si un comportement est de plus en plus populaire dans la société, il devient plus désirable.

Depuis la publication d’Influence, M. Cialdini a mené plusieurs études pour confirmer la validité de ces six principes. Par exemple, une serveuse qui donne des menthes avec la facture a un pourboire plus élevé (principe de réciprocité). Ou alors, les conseils d’un médecin sont plus suivis s’il affiche son diplôme dans son bureau (principe d’autorité). Il a été « conseiller comportemental » pour les campagnes électorales de Barack Obama et d’Hillary Clinton.

En 2016, il a ajouté un principe de « pré-suasion » à ses six principes de persuasion : si on établit d’abord une proximité avec la personne que l’on doit convaincre, en lui montrant qu’on fait partie d’un même groupe, la persuasion est facilitée.

Sceptiques

Peut-on utiliser la science de la persuasion pour convaincre les climatosceptiques d’adopter des comportements anti-changements climatiques ? « S’il s’agit simplement de gens qui ont des habitudes bien ancrées, on peut essayer de faire appel aux normes sociales, répond M. Cialdini. S’ils voient que de plus en plus de gens ont changé leurs habitudes, par exemple régler la température du chauffage plus bas pendant la nuit, ils pourraient être disposés à changer. »

Pour les gens qui remettent en question le consensus scientifique voulant que la planète se réchauffe et que l’activité humaine en est responsable, on peut faire témoigner un ancien sceptique converti. « Un climatosceptique qui a perdu sa maison dans des inondations sans précédent pourrait être convaincant. »

Il faut aussi répondre à la désinformation non pas en l’ignorant, mais en démontrant sa fausseté. « Un contre-argument est toujours plus convaincant qu’un argument, dit M. Cialdini. Quand on donne la parole à un chercheur climatosceptique, il faut bien préciser que c’est un point de vue très minoritaire parmi les scientifiques. Mais si on démonte son argumentaire, ce sera plus convaincant pour les climatosceptiques que si on réitère simplement le consensus scientifique climatique. »

Crise de la reproductibilité

Depuis une dizaine d’années, la psychologie comportementale est frappée par une « crise de la reproductibilité » : plusieurs études, souvent celles qui sont menées auprès d’étudiants, ont été contredites. Certaines analyses ont fait état de 50 % d’études dont les résultats n’ont pas pu être reproduits.

Cela remet-il en question les théories de M. Cialdini ? « La grande leçon de la crise de la reproductibilité est l’importance de faire des études dans le vrai monde, pas seulement avec des étudiants. Mais la plupart des études fautives étaient mal conçues. Si on prend seulement les études avec une bonne méthodologie, 80 % des résultats tiennent la route. Et mes études ont été reproduites plusieurs fois. »

D’autres nouvelles scientifiques de la réunion de l’AAAS

La douleur de la cinquantaine

PHOTO MARK BAKER, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Dans tous les pays riches, les générations sont de plus en plus en santé. Partout, sauf aux États-Unis, selon une nouvelle étude de l’Université d’État de l’Arizona.

Dans tous les pays riches, les générations sont de plus en plus en santé. Partout, sauf aux États-Unis, selon une nouvelle étude de l’Université d’État de l’Arizona. Du moins pour ce qui est des « douleurs de milieu de vie », qui apparaissent entre 45 et 65 ans. Ces douleurs non spécifiques sont deux fois plus fréquentes chez les Américains nés en 1975 que chez leurs compatriotes nés en 1950, étant passées de 20 % à 40 % de la population. En comparaison, en Angleterre, les douleurs de milieu de vie sont passées de 40 % de la population pour ceux qui sont nés en 1940 à 25 % pour la génération née en 1975. Le système de santé en grande partie privé aux États-Unis et l’individualisme expliqueraient cette particularité américaine. L’étude dévoilée à la réunion de l’AAAS n’avait pas de données canadiennes.

L’IA menace les langues en danger

PHOTO WIKIMEDIA COMMONS

La langue munsee d’un groupe autochtone ontarien, parlée par moins de dix personnes, a été identifiée en 2010 par l’UNESCO comme l’une des plus menacées au monde.

L’intelligence artificielle menace la vitalité de 99 % des langues du monde, qui n’ont pas de larges échantillons permettant d’entraîner les modèles d’IA comme ChatGPT. Et pourtant, l’IA pourrait faire partie de la solution, estime Sarah Moeller, une linguiste de l’Université de Floride. Lors d’une présentation à la réunion de l’AAAS, Mme Moeller indique que l’IA « générative » fonctionne beaucoup mieux en anglais que dans les autres langues et est inefficace pour 99 % des langues du monde. Or, de 30 % à 90 % des 7000 langues du monde sont déjà menacées de disparaître au cours du XXIe siècle. Si l’IA renforce la vitalité des langues dominantes, les disparitions seront plus nombreuses. La solution de Mme Moeller : faire lire par l’IA quelques dizaines de textes de chaque langue menacée, pour produire une grammaire.

L’effet protecteur du bilinguisme

PHOTO GRAHAM HUGHES, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Des études préliminaires montrent que le taux de démence est plus faible dans les pays ayant plus d’une langue officielle.

Le bilinguisme repousse de quatre à six ans l’âge d’un diagnostic de démence, selon Viorica Marian, une psycholinguiste de l’Université Northwestern à Chicago. Des études préliminaires montrent aussi que le taux de démence est plus faible dans les pays ayant plus d’une langue officielle. La prochaine étape dans les recherches de Mme Marian est de démontrer que plus on connaît de langues, plus le risque de démence diminue, et que plus le nombre de langues parlées dans un pays est élevé, plus le taux de démence y est faible, a-t-elle expliqué lors d’une séance de la réunion de l’AAAS.