Y a-t-il trop de diagnostics de bébé secoué ? Le neurologue Guillaume Sébire croit que oui. « Il y a beaucoup de débats en ce moment sur le sujet. » Tour d’horizon.

Le diagnostic

Au Québec, le diagnostic de traumatisme crânien non accidentel, qui survient lorsqu’un tout-petit est fortement secoué, est balisé par la Société canadienne de pédiatrie. Il doit se faire de manière multidisciplinaire, c’est-à-dire que l’équipe médicale doit se concerter. On appelle les soignants à porter une attention particulière à trois symptômes : des saignements à l’intérieur et autour du cerveau, des saignements dans la rétine et des lésions cérébrales. Dans les cas évidents, on observe aussi des fractures, des bleus ou des lésions externes. « En présence d’un cas présumé de traumatisme crânien non accidentel, même s’il n’est pas encore confirmé, les intervenants sont tenus d’aviser rapidement les services de protection de l’enfance afin que ceux-ci entreprennent leur enquête », demande la Société canadienne de pédiatrie. En gros, les soignants qui ont des doutes doivent le signaler. Par la suite, « les intervenants de la santé et les enquêteurs devraient envisager d’autres explications et ne pas chercher uniquement à confirmer une présomption initiale de traumatisme crânien non accidentel ».

Trop de cas ?

Dans sa pratique, le DSébire a été appelé à intervenir comme témoin expert devant les tribunaux au Canada, aux États-Unis et en Europe. Sur une cinquantaine de dossiers de lésions cérébrales suspectes de maltraitance, il mentionne avoir vu des acquittements, des décisions de culpabilité annulées ou l’abandon des accusations dans les deux tiers des cas.

Il y a deux ans, une éducatrice en garderie a été acquittée par la Cour du Québec de voies de fait graves sur un poupon de 11 mois qu’elle était accusée d’avoir secoué. Trois médecins avaient conclu à ce diagnostic en excluant toute autre maladie. Le DSébire a semé le doute dans la tête de la juge, estimant qu’il était plus probable que l’enfant soit mort des suites d’une hydrocéphalie. « Il est vrai que la théorie du DSébire sur la cause qui a engendré la condition médicale de l’enfant s’écarte du consensus médical et qu’elle demeure controversée. Il n’y a pas lieu de l’exclure pour autant », dit le jugement.

Maltraitance ou maladie ?

Les symptômes d’un traumatisme crânien non accidentel sont bien connus des médecins. Mais il existe de nombreuses maladies rares qui ont les mêmes symptômes. Comment savoir hors de tout doute de quoi il s’agit, dans les cas où il n’y a pas d’autre indice de maltraitance ? Réponse courte : c’est compliqué. « Plus la maladie est rare, moins elle est connue et plus on est dans des diagnostics probabilistes, répond le DSébire. C’est une situation normale en médecine. Mais le niveau de vérité requis par la justice, c’est hors de tout doute raisonnable. C’est beaucoup plus élevé que le diagnostic médical. Quand on amène des diagnostics médicaux au tribunal, je dis : attention, c’est un diagnostic probabiliste. Même le diagnostic de mon collègue qui n’est pas d’accord avec moi est un diagnostic probabiliste. Personne ne peut dire : je détiens la vérité absolue. »

En chiffres

Selon des données compilées par Statistique Canada, 16 bébés de moins de 1 an et quatre tout-petits de 1 à 3 ans sont morts d’un traumatisme crânien non accidentel entre 2013 et 2022. Cela ne compte pas les cas où les jeunes victimes ont survécu. Les chiffres sur les cas de bébé secoué sont rares au pays. Les services de protection de la jeunesse les classent avec les autres cas de maltraitance. Devant les tribunaux, ils sont catégorisés selon l’accusation portée : homicide, voie de fait, etc.