Dalian et son président, David Yeo, se sont retrouvés sous le feu des projecteurs depuis l’automne en raison de l’explosion des coûts de l’application ArriveCAN. Invité en comité parlementaire en octobre, M. Yeo a eu du mal à expliquer ce qu’il faisait exactement pour le compte du gouvernement.

M. Yeo a été talonné par le député conservateur Garnett Genuis, qui l’a questionné à neuf reprises sur ce qu’il faisait dans la vie, sans jamais sembler satisfait de la réponse.

« Si Stéphanie me donne 100 $ pour peinturer sa clôture et que j’embauche Larry pour le faire à 50 $, qu’est‑ce que j’ai fait ? J’ai seulement reçu de l’argent afin d’embaucher quelqu’un pour faire mon travail. Vous pouvez bien parler de sous‑traitance. Vous pouvez bien parler de gestion de projets, si vous voulez, mais vous ne faites rien, n’est‑ce pas ? Vous ne faites rien pour l’argent que vous recevez. »

« Nous accomplissons beaucoup de travail, en fait. Nous passons des heures, des jours et des semaines à répondre aux demandes de propositions, à faire des soumissions, ce qui coûte des milliers et des milliers de dollars. C’est parfois nous qui remportons la mise, d’autres fois, non. Il se fait énormément de travail en amont dans le domaine de la passation de contrats », a répondu David Yeo.

« C’est fascinant. Il y a beaucoup de jeu ici pour économiser de l’argent », a conclu le député.

Dalian n’effectue pas elle-même le travail pour le gouvernement. Sa spécialité est de soumissionner à des appels d’offres et d’obtenir le contrat, pour ensuite se garder un pourcentage de sa valeur et sous-traiter le travail à des consultants experts en informatique qui traiteront plus tard directement avec le gouvernement, selon ce qui a été expliqué au Parlement.

Plusieurs firmes fonctionnent de cette manière dans le cadre des appels d’offres fédéraux, mais la particularité de Dalian est que son président déclare avoir des racines autochtones, ce qui lui donne accès aux contrats réservés aux entreprises des Premières Nations.

Plusieurs de ces contrats sont ensuite réalisés en coentreprise avec une firme non autochtone.

Dans la tourmente

L’automne dernier, les dirigeants de la firme montréalaise Botler AI, Ritika Dutt et Amir Morv, avaient aussi soulevé des questions devant un comité parlementaire au sujet du comportement de certaines firmes qui ont participé au développement d’ArriveCAN, dont Dalian.

ArriveCAN a été développée à la demande d’Ottawa pendant la pandémie pour suivre le statut vaccinal des voyageurs. La vérificatrice générale du Canada a publié un rapport dévastateur à ce sujet le 12 février, en déplorant le « manque d’informations de base » pour justifier les factures des consultants. « C’est probablement l’une des pires tenues de registres financiers que j’ai jamais vues », a-t-elle déclaré.

Les dirigeants de Botler AI ont soutenu que la propriété autochtone revendiquée par Dalian servait de façade pour que ses partenaires non autochtones puissent mettre la main sur les contrats réservés aux entrepreneurs autochtones. Ils disent avoir découvert plusieurs irrégularités dans le cadre d’un contrat accordé à Dalian auquel ils avaient collaboré.

M. Yeo s’était vigoureusement défendu en comité parlementaire. « Je suis très fier de faire partie de la Stratégie d’approvisionnement auprès des entreprises autochtones. J’ai contribué à l’élaboration de cette politique. Nous sommes une entreprise inscrite en bonne et due forme et nous faisons l’objet de vérifications très régulièrement, lors de chaque coentreprise. Nous respectons totalement les règles de cette stratégie », a-t-il déclaré.

Samedi, La Presse rapportait aussi que Services publics et Approvisionnement Canada avait demandé au ministère des Services aux Autochtones d’effectuer des audits sur l’attribution des contrats à Dalian, « au vu des allégations d’actes répréhensibles ainsi que des examens et des enquêtes alors en cours ».

Qui est David Yeo ?

Le président et fondateur de Dalian Enterprises inc., David Yeo, se décrit comme un ancien combattant décoré qui a œuvré durant 36 ans dans les Forces armées canadiennes. Il se présente également comme l’arrière-petit-fils du chef autochtone Robert Franklin, signataire des traités Williams avec le gouvernement fédéral en 1923. Le chef de la Première Nation d’Alderville, en Ontario, Taynar Simpson, a confirmé ces informations. Il a expliqué à La Presse que David Yeo est l’un des membres de sa communauté sans « statut d’Indien » au sens de la Loi sur les Indiens. Cette perte de statut se produisait avant 1985 lorsqu’une femme autochtone se mariait avec un non-Autochtone, une politique jugée discriminatoire. Après 1985, l’exclusion est après la deuxième génération, où ce sont les petits-enfants qui ne peuvent obtenir ce statut pour la même raison. En étant membre d’une Première Nation, M. Yeo répond à l’un des critères pour faire partie du répertoire des entreprises autochtones du gouvernement fédéral. Par ailleurs, il a aussi été candidat pour le Parti populaire de Maxime Bernier dans la région d’Ottawa lors des plus récentes élections fédérales, en 2021.

Mylène Crête, La Presse