Procédures douanières désuètes, fort volume de marchandises expédiées outremer, pouvoir d’inspection restreint des autorités : empêcher les véhicules volés de quitter le port de Montréal n’est pas si simple, selon un expert.

Pourquoi Montréal est-il décrit comme une plaque tournante du vol de voitures ? On y trouve le principal port qui donne accès à l’étranger, résume Jacques Lamontagne, directeur des enquêtes pour le Québec et l’Atlantique chez Équité Association. Il ne s’agit pas du seul endroit par où se faufilent les nombreux VUS dérobés à travers le pays. Il y a également des véhicules volés au port de Halifax. « Mais on ne parle pas du même volume qu’à Montréal, bien sûr », ajoute l’expert.

Le port de Vancouver, sans être épargné par le problème, n’est pas aussi touché que celui de Montréal, note-t-on. Difficile d’en expliquer la raison. « C’est le grand mystère qui m’habite ! »

C’est l’Agence des services frontaliers du Canada qui s’occupe de ce qui transite par le port, tout comme pour la frontière. Avec 700 000 conteneurs qui sortent du port bon an, mal an, on ne peut pas tous les fouiller.

Le port de Montréal est souvent montré du doigt lorsqu’il est question d’exportation de véhicules volés au Canada. « C’est une situation qui nous préoccupe grandement », assure Renée Larouche, directrice des communications de l’Administration portuaire de Montréal.

« Les vols des véhicules ne s’effectuent pas au port. Ils arrivent en amont », rappelle-t-elle.

« La loi ne permet pas aux employés ou à l’administration du Port d’ouvrir un conteneur à moins que la vie de quelqu’un soit en danger ou qu’il y ait un risque environnemental grave », explique-t-elle.

Les conteneurs demeurent scellés, à moins que les forces de l’ordre n’interviennent pour l’inspection.

Renée Larouche, directrice des communications de l’Administration portuaire de Montréal

Les corps policiers ont accès au port et peuvent y intervenir. « Toutefois, nous n’y effectuons pas de patrouilles comme telles, car l’Administration portuaire de Montréal a ses propres agents de sécurité », explique le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM).

« Trop tard pour intervenir »

N’entre pas qui veut au port de Montréal… et encore moins dans un conteneur scellé. « Quand les conteneurs arrivent au port, il est trop tard pour intervenir », explique Renée Larouche.

« Pour que la police fouille un conteneur scellé, ça prend un mandat. Pour l’obtenir en bonne et due forme, ça prend des motifs raisonnables de croire qu’on brise une loi », explique Jacques Lamontagne, également lieutenant-détective retraité du SPVM.

Tout individu ou toute entreprise peut louer un conteneur, ajoute Mme Larouche. « Il faut remplir un formulaire en ligne pour déclarer à la compagnie maritime ce qu’on expédie. Mais ils ne sont pas tenus de vérifier. C’est vraiment la police et l’Agence des services frontaliers qui ont ce pouvoir-là. »

Plus de 700 000 conteneurs chaque année

Certaines cargaisons de voitures volées sont expédiées via le port sans inspection à cause du nombre élevé de conteneurs qui y transitent chaque jour.

En 2023, 1 538 464 conteneurs ont transité par le port de Montréal. De ce chiffre, 779 111 en sont sortis. En 2022, 871 000 conteneurs ont été expédiés à partir du port. Ça fait beaucoup de marchandise à fouiller.

Pour économiser du temps, pourquoi ne pas « scanner » les conteneurs au lieu de les fouiller pour détecter des véhicules rapidement ? Ce n’est pas si simple, avise M. Lamontagne.

Il n’y a pas juste des véhicules volés dans ces conteneurs. Parfois, les voitures sont expédiées tout à fait légalement.

Jacques Lamontagne, directeur des enquêtes pour le Québec et l’Atlantique chez Équité Association et lieutenant-détective retraité du SPVM

Procédures douanières à revoir ?

Le sommet national pour lutter contre le vol de véhicules du 8 février pourrait mettre en lumière différents aspects des procédures douanières qui ne sont plus adaptées à la nouvelle réalité criminelle, espère Jacques Lamontagne. La Loi sur les douanes, par exemple, permet de modifier une déclaration 48 heures après l’expédition. « Ça fait partie des recommandations qu’on a. On s’époumone à dire qu’il faut que ça change », explique-t-il.

Les douaniers, partenaires essentiels de la lutte contre le vol d’automobiles, ont pour consignes de prioriser les explosifs, les armes à feu et la drogue dans leurs fouilles. « Les véhicules volés ne font pas partie des items à prioriser. »

La procédure imposée est claire : ils doivent davantage surveiller ce qui rentre au pays que ce qui en sort. C’est logique, admet Jacques Lamontagne. Reste que les véhicules volés qui quittent le port enrichissent le crime organisé, ce qui est une menace à la sécurité.

Resserrer la réglementation

Le « renivage », technique utilisée pour maquiller un véhicule volé en changeant son numéro d’identification de véhicule (NIV), complique la tâche pour détecter de la marchandise dérobée. « Dans le passé, on avait des NIV de véhicules accidentés achetés à l’encan », explique Jacques Lamontagne. Aujourd’hui, avec la technologie, les malfaiteurs peuvent simplement utiliser des séquences de production pour créer un faux NIV.

L’interdiction de revendre une carcasse viendrait toutefois aider, estime le policier retraité.

Et l’industrie automobile, elle ? Ne devrait-on pas revoir les façons de construire des voitures ? Les clés automatiques de la plupart des modèles convoités par les malfaiteurs sont faciles à reprogrammer.

Transports Canada pourrait, à la lumière de la situation actuelle, resserrer sa réglementation pour les constructeurs. Réglementation qui n’a pas été modifiée depuis… 2007, selon Jacques Lamontagne. « La technologie a beaucoup évolué depuis ce temps-là ! »

Des peines trop légères

Il y a plus de conséquences judiciaires à traverser la frontière avec quatre kilos de cocaïne qu’avec des véhicules volés. Pourtant, les deux crimes rapportent gros au milieu criminel. Les jeunes bandits risquent moins à voler un Jeep Wrangler qu’à vendre des stupéfiants dans la rue.

La prise de contrôle du crime organisé sur le marché des vols de voitures change la dynamique : l’argent obtenu du vol de véhicules finance d’autres activités criminelles, comme le trafic d’armes à feu ou la traite de personnes.

« C’est beaucoup moins dissuasif de savoir qu’on risque une absolution s’il s’agit d’une première [infraction] ou au pire de quatre à six mois de prison pour vol de voiture que des années pour avoir vendu des substances illicites », souligne Jacques Lamontagne.