Mue par un «intérêt infinitésimal», la société de vérificateurs Schwartz Levitsky Feldman (SLF) a utilisé une démarche judiciaire abusive pour tenter de faire dérailler le recours collectif Mount Real - d'une valeur 130 millions de dollars -, qui la vise notamment, conclut la Cour supérieure.

«... le tribunal est en droit d'inférer que SLF se sert de son statut de créancier pour initier une procédure de révision avec comme véritable objectif de torpiller le recours introduit au nom des investisseurs...» écrit le juge Jean-Yves Lalonde, dans une décision remontant à juin dernier.

«La démarche de SLF dans la présente instance est en soi abusive et dénote une intention malicieuse de nuire à autrui. SLF a peut-être un intérêt légal si sa créance n'est pas prescrite, mais son intérêt juridique est illégitime, détourne les fins de la justice et en déprécie son administration», ajoute le magistrat.

En sa qualité de firme vérificatrice de la société Mount Real, SLF compte parmi les sociétés et individus - Lino P. Mateo, Paul d'Andrea, Deloitte & Touche, B2B Trust, entre autres - qui font l'objet d'une poursuite en recours collectif de plus de 130 millions intentée au profit de 1600 investisseurs. Mais SLF est aussi créancière de Mount Real à hauteur de 3989,48$.

Le recours reproche aux dirigeants de la montréalaise Mount Real «d'avoir usé d'un stratagème grossier et pervers pour flouer les investisseurs», écrit le juge Lalonde. L'action montre également du doigt les firmes vérificatrices de Mount Real, dont SLF, auxquels on reproche «d'avoir permis aux investisseurs de se fier aux états financiers préparés par eux en vue d'investir dans les entreprises faillies (le groupe Mount Real). Aussi, est-il allégué que les fautes professionnelles des vérificateurs ont facilité la fraude des administrateurs en donnant un lustre de crédibilité non justifié aux entreprises faillies», continue le magistrat.

D'après le jugement, SLF a appris en mai 2010 que le syndic à la faillite de Mount Real, Raymond Chabot Inc., a consenti un prêt aux avocats du recours collectif, à même les actifs de Mount Real, afin de défrayer les coûts d'une expertise comptable destinée à établir une preuve contre les vérificateurs.

SLF en a pris ombrage, et a coiffé sa casquette de créancier pour déposer une contestation judiciaire afin de renverser cette décision, 10 mois plus tard. La société allègue que la Loi sur la faillite et l'insolvabilité (LFI) ne permet pas au syndic d'avancer des fonds à un créancier [les investisseurs] pour intenter un recours contre un tiers [SLF et les autres].

Le juge Lalonde a d'abord écarté le recours de SLF pour une question de délai. Bien que la LFI n'en précise pas dans le cas d'une plainte contre la décision d'un syndic, note-t-il, les jugements antérieurs des tribunaux fixent néanmoins des balises. «... le tribunal des faillites est justifié de s'inspirer des délais fixés ailleurs dans la loi en se référant à des délais de 10 à 30 jours...» écrit le juge. Si un requérant veut aller au-delà, il doit le justifier. SLF ne l'a pas fait au goût du magistrat.

Le juge examine ensuite «l'intérêt légal» qu'avait SLF de déposer sa requête. Sur ce point, «bien que l'intérêt de SLF soit dérisoire [3989,48$] par rapport à celui de la masse des créanciers [130 millions]...», le juge donne raison à SLF pour la simple raison que la société figure parmi les créanciers. Sur le caractère abusif de la requête, on l'a vu plus haut, le juge Lalonde est lapidaire. Quelques jours après ce jugement, SLF a demandé à la Cour d'appel la permission d'en appeler.

La Presse Affaires a tenté sans succès de parler à l'avocat de SLF, Laurent Nahmiash.