C'est la question qui est venue à l'esprit de bien des gens. La transaction de 3,25 milliards de SNC-Lavalin est-elle liée à l'affaire Jody Wilson-Raybould (JWR), qui fait les manchettes depuis deux mois ?

Réponse : pas du tout. Les deux éléments n'ont pas de rapport. Malgré tout, la transaction pourrait influencer l'avenir de l'entreprise à Montréal. Voici pourquoi.

SNC-Lavalin, faut-il savoir, avait annoncé son intention de vendre une partie de sa participation dans l'autoroute 407 bien avant que l'affaire JWR n'éclabousse l'entreprise. Voici essentiellement ce qu'elle écrivait dans un communiqué le 2 août dernier, alors que les tractations entre JWR et le cabinet Trudeau se sont intensifiées après le 4 septembre.

« SNC-Lavalin a mandaté CIBC et RBC pour l'assister dans la vente possible d'une portion de son investissement dans l'Autoroute 407 ETR, ceci dans le but de créer davantage de valeur pour ses actionnaires [...]. Nous croyons que la transaction aidera le marché à mieux évaluer notre division d'Ingénierie et Construction. »

Bref, la transaction a pour but d'aider l'entreprise à nettoyer son bilan, entaché par certains événements survenus au cours des derniers mois (problème de son secteur pétrolier en Arabie saoudite, suivi d'un contrat déficitaire au Chili).

La transaction de la 407 était donc attendue favorablement par les analystes, notamment Maxim Sytchev, de la Banque Nationale. Au début mars, faisait-il valoir dans une analyse, les investisseurs étaient préoccupés par les liquidités de l'entreprise.

Les 3,25 milliards contribueront à renflouer les coffres. La vente de 10,01 % des 16,77 % que détient SNC dans l'autoroute 407 rapportera un peu moins que prévu. Les analystes s'attendaient à ce qu'elle accorde une valeur à cet actif équivalant à environ 28,50 $ l'action après impôt, mais elle lui donne finalement 27 $. Cet écart explique la chute du titre hier (de 1,6 %, à 33,92 $).

Le rôle de la Caisse de dépôt

La transaction n'est donc pas liée à la controverse nationale sur les pressions (indues ou non) subies par l'ex-ministre de la Justice Jody Wilson-Raybould de la part de l'équipe de Justin Trudeau. Elle n'est pas liée, mais l'utilisation des 3,25 milliards par la direction pourrait influencer l'avenir de l'entreprise à Montréal.

En effet, SNC a annoncé qu'avec les fonds, elle rembourserait une autre tranche de l'emprunt de 1,5 milliard de dollars qu'elle avait contracté auprès de la Caisse de dépôt en avril 2017 pour financer l'acquisition de la firme britannique WS Atkins. De cette somme, quelque 500 millions avaient été remboursés en 2018, et hier, SNC-Lavalin a annoncé le paiement d'une autre tranche de 600 millions.

Ce prêt n'en est pas un comme les autres. En contrepartie, la Caisse a obtenu le droit d'être consultée pour la nomination du président du conseil d'administration de SNC, mais surtout, elle a exigé que la firme maintienne son siège social à Montréal au moins jusqu'en 2024, à l'échéance du prêt de sept ans.

Hier, le porte-parole de la Caisse, Maxime Chagnon, a confirmé que ces deux conditions demeurent, malgré le nouveau remboursement de 600 millions.

Toutefois, pour se libérer de ces exigences, l'entreprise n'a désormais plus que 400 millions à rembourser, plutôt que 1,5 milliard, ce qui est beaucoup plus à sa portée.

Quand pourra-t-elle le faire ? Selon les conditions de l'entente de 2017, SNC-Lavalin pourra ramener son emprunt à zéro à partir de juillet 2021, indique Maxime Chagnon. En somme, si la direction de SNC sent la soupe chaude dans les procédures criminelles intentées contre elle et veut déménager, elle pourrait le faire dans deux ans sans les restrictions de l'entente, moyennant 400 millions.

Cela dit, il y a loin de la coupe aux lèvres. D'abord, la Caisse conserve une influence marquante sur l'entreprise, avec ses quelque 20 % d'actions.

Ensuite, il ne m'apparaît pas clair qu'un déménagement hors du pays changerait quoi que ce soit à son volume d'affaires mondial. Certes, si l'entreprise est reconnue coupable au Canada, elle serait exclue des contrats fédéraux pour un maximum de 10 ans - et probablement moins selon la nouvelle loi -, mais il est difficile de comprendre en quoi cette suspension ferait moins mal à ses affaires si elle est installée à Londres ou à New York, plutôt qu'à Montréal.

Enfin, tout indique que la suspension de 10 ans ne touchera pas l'essentiel de la manne de 180 milliards que compte investir le fédéral pour les infrastructures d'ici 10 ans, selon ce que m'ont confirmé les autorités.

La raison : les fonds transférés par le fédéral seront gérés par les provinces et la Banque de l'infrastructure du Canada, qui ne sont pas soumises au régime d'intégrité qui mène à la suspension de 10 ans.

Quoi qu'il en soit, la transaction a tout de même l'avantage de garnir les coffres de l'État, puisque SNC devra verser environ 420 millions d'impôts aux gouvernements fédéral et provinciaux.