L’actionnaire de contrôle des magasins Brault & Martineau, Yves Des Groseillers, perd un bras de fer avec le fisc – qui lui coûtera au moins 1,5 million – dans une cause où se chevauchent dons de bienfaisance et fiscalité. Revenu Québec analyse déjà la portée de cette décision du plus haut tribunal du pays.

Deux dons d’options sur des actions effectués en 2010 et 2011 dont la valeur est de 3 millions étaient au cœur du litige. M. Des Groseillers avait réclamé des crédits d’impôt correspondant à la valeur marchande des options versées. N’ayant pas exercé les options d’achat en question, l’homme d’affaires alléguait que ces sommes ne devaient pas être considérées comme un revenu d’emploi imposable.

« C’est vouloir le beurre et l’argent du beurre, affirme le professeur associé de droit fiscal à l’Université Laval André Lareau. C’est aberrant. C’est une planification fiscale ultra-agressive. Ça frôle, quant à moi, l’évitement fiscal. On ne déclare pas la valeur marchande des options. Par contre, on n’oublie pas de réclamer le crédit d’impôt sur les dons. »

Interpellée, la Cour suprême du Canada a unanimement rejeté l’appel de M. Des Groseillers, jeudi dernier.

Ses sept juges au dossier concluent que la Cour d’appel du Québec, dans une décision rendue en juin 2021, a interprété correctement la Loi sur les impôts du Québec. Ainsi, les options d’achat données à des organismes caritatifs sont considérées comme un revenu d’emploi.

Également professeur de droit fiscal à l’Université Laval, Khashayar Haghgouyan ne va pas aussi loin que son confrère. Il ne qualifie pas de « planification agressive » la stratégie de M. Des Groseillers. L’expert estime toutefois que le « gros bon sens l’a emporté ».

« C’est rare que la Cour suprême rend un jugement aussi laconique, souligne M. Haghgouyan. Ils [les juges] encensent la Cour d’appel en la reprenant mot pour mot. C’est assez inusité. »

Il n’a pas été possible d’obtenir une réaction de M. Des Groseillers, mardi.

Des années devant les tribunaux

Une option d’achat d’actions permet notamment à une personne d’acheter, à un prix préétabli, des actions de la compagnie pour laquelle elle œuvre. M. Des Groseillers a bénéficié de ce régime lorsqu’il dirigeait Groupe ATBM, qui chapeaute Brault & Martineau et Ameublement Tanguay. Cette société a fusionné avec BMTC en 2015, et c’est ce nom qu’elle porte officiellement aujourd’hui.

Le gestionnaire est maintenant président du conseil d’administration de l’entité.

Ce dernier avait donné ses options sur ses actions à l’Université de Montréal, à la Fondation Maman Dion, à la Fondation Céline Dion et à la Fondation du CHUM en 2010 et en 2011. Le litige fiscal avait éclaté à la suite de deux avis de cotisations transmis par Revenu Québec en 2015 et en 2016.

M. Des Groseillers avait eu gain de cause devant la Cour du Québec. Le tribunal s’était rangé derrière ses arguments en concluant que ce dernier n’avait reçu aucune somme en échange de ses options d’achat d’actions. Cette décision avait toutefois été infirmée par la Cour d’appel du Québec, qui estimait que l’interprétation du juge de première instance était « erronée ».

Puisque les articles de la Loi sur les impôts sont « clairs », le « juge de première instance devait se limiter à les appliquer ». Un employé qui donne son bien ou un droit d’achat d’action « est réputé » avoir reçu la valeur marchande du don en question, prévoit l’article 50 de la loi.

« La conclusion est qu’en matière fiscale, il faut lire la loi dans son ensemble, dit M. Haghgouyan. Ici, on en faisait une lecture parcellaire. »

D’autres réclamations ?

Il n’a pas été possible, lundi, de savoir combien de litiges fiscaux concernant des dons à des organismes de bienfaisance étaient sur l’écran radar du fisc québécois.

« Revenu Québec est très satisfait que sa position ait été retenue par la Cour suprême du Canada et la Cour d’appel et prendra le temps d’analyser cette décision pour en mesurer les impacts sur ses autres dossiers », a indiqué son porte-parole, Claude-Olivier Fagnant, dans un courriel.

Le professeur Lareau reconnaît que les autorités ont désormais les coudées franches si d’autres situations du genre se produisent. Reste à voir si les autorités fiscales seront en mesure d’épingler les fautifs.

« C’est un jeu de cache-cache, dit l’expert. C’est sûr que pour les contribuables qui ont donné plus de 1 million, Revenu Québec doit être davantage aux aguets. Mais est-ce qu’il y en a qui ont réussi à faire usage de ce stratagème sans être découverts ? Je ne le sais pas. »

Le taux d’imposition combiné (Québec et fédéral) est de 53,31 % en ce qui a trait à la tranche de revenu imposable qui dépasse 216 511 $. En faisant abstraction d’avantages comme des attributions fondées sur des actions et son régime de retraite, M. Des Groseillers avait eu droit à une rémunération en espèces de 607 000 $ en 2011 et de 605 750 $ l’année précédente.

En savoir plus
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    En plus de Brault & Martineau ainsi qu’Ameublement Tanguay, BMTC chapeaute aussi les activités de l’enseigne EconoMax.
    source : groupe bmtc
    64 %
    Proportion des droits de vote chez BMTC contrôlés par Yves Des Groseillers
    source : groupe bmtc