Ceci n’est pas un conte de Noël. La récession est sans doute déjà commencée au Québec, nous avertissent les économistes de Desjardins. Qui dit recul économique dit pertes d’emplois. Où le mal frappera-t-il cette fois-ci en dépit de la pénurie généralisée de main-d’œuvre ? Trois économistes répondent à la question.

Avec la hausse du taux directeur de la Banque du Canada de 400 points de base depuis le début de l’année, les secteurs sensibles aux variations de taux d’intérêt pâtiront d’emblée, nous dit Hélène Bégin, économiste principale au Mouvement Desjardins.

Malgré un taux de chômage à un creux historique, 3,8 % en novembre, on ne perd rien pour attendre, prévient-elle. « Quand la récession va s’installer, il va y en avoir, des pertes d’emplois », soutient-elle. L’économiste estime que le taux de chômage va remonter à 6 % d’ici la fin de 2023. Ce qui implique la perte de quelque 100 000 emplois par rapport à novembre 2022, sur la base d’une population active constante.

Une variation négative du taux de chômage de deux points de pourcentage, c’est ce qu’on a vu pendant la récession de 2008-2009, indique Mme Bégin.

Secteurs touchés

Parmi les premiers secteurs touchés, on pense ici au courtage immobilier et hypothécaire, aux quincailleries, aux biens durables comme des meubles et des automobiles, aux scieries qui font du bois d’œuvre et aux entrepreneurs et sous-traitants du secteur de la construction résidentielle.

« La première crise est immobilière », renchérit Mathieu Marchand, économiste indépendant de Québec.

La Bourse étant un indicateur avancé de l’état de l’économie, il est d’intérêt de regarder le prix de l’action de BMTC, propriétaire des enseignes de magasins de meubles Tanguay et Brault et Martineau. Il a atteint son creux des 52 dernières semaines à la mi-décembre.

Pour ce qui est des nouveaux logements, la Commission de la construction du Québec, organisme paritaire qui encadre l’industrie, s’attend à une réduction de l’ordre de 7 % des heures travaillées dans le secteur résidentiel. Dans l’industrie dans son ensemble, la baisse ne sera que de 4 %.

Un premier acteur d’envergure, Groupe Sélection, s’est placé sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC) en novembre. Géant aux pieds d’argile en raison de ses fonds de trésorerie négatifs récurrents, il n’est pas nécessairement représentatif de l’industrie, sans être toutefois le seul à devoir s’ajuster à la hausse des coûts de financement.

La récession ne se limitera pas à l’immobilier

Pour Mme Bégin, le transport est un autre secteur qui souffrira, notamment à cause du recul prévu des échanges commerciaux internationaux dans un contexte de récession mondiale. Le secteur de la fabrication aussi en subira les conséquences.

« Beaucoup d’industries sont en déclin, observe-t-elle. Ce qui est étonnant, c’est assez généralisé parmi toutes les industries, la baisse d’activités qui est amorcée au Québec où il n’y a pas de pétrole pour donner une chance. »

Desjardins s'inquiète surtout pour les secteurs ayant déjà souffert de la pandémie, soit les restaurants et les prestataires de services personnels comme les coiffeurs. Ces entreprises ressortent endettées de la pandémie tout en étant particulièrement sensibles à la réduction des dépenses discrétionnaires. Une recette qui mène directement au dépôt de bilan, laissaient entendre Joëlle Noreau et Florence Jean-Jacobs, économistes principales chez Desjardins, dans une analyse publiée en octobre.

De son côté, le professeur d’économie de l’UQAM Philippe Goulet Coulombe s’attend à une récession asymétrique frappant davantage le secteur des biens et la construction que le secteur des services, moins touché par une récession mondiale.

Ça risque d’être une récession différente des dernières que nous avons connues.

Philippe Goulet Coulombe, professeur d’économie de l’UQAM

« On s’attend à ce que l’impact de la récession sur l’emploi soit moins grand que par le passé », ajoute-t-il, dans un entretien. Il serait surpris de voir le taux de chômage au Québec remonter à 6 %.

Une opinion que partage l’économiste Mathieu Marchand. En septembre, on dénombrait 2,5 postes vacants par chômeur au Québec. En simplifiant, fait-il valoir, la récession pourrait faire perdre 250 000 emplois et on ne ferait qu’éliminer les postes vacants sans que personne se trouve dans la rue.

« Ça prendrait un très gros choc avant qu’on ne ressente les effets de la hausse du chômage sur l’économie », en conclut-il. D’autant, ajoute-t-il, qu’au Québec, les salaires suivent l’inflation, notamment dans les secteurs situés au bas de l’échelle : fabrication, machinerie, santé. Ce qui est de bon augure pour la résilience des ventes au détail, croit-il.

« Les pertes d’emplois les plus médiatisées aux États-Unis sont dans les technos et les banques, poursuit M. Marchand. On a moins de technos que les Américains. En revanche, on a des banques. Toutes les grandes banques américaines ont annoncé des baisses d’emplois. Je n’en ai pas encore vu au Canada, mais je m’y attends, surtout dans le secteur hypothécaire. »

Impacts de la récession, selon Desjardins

Secteurs en difficulté

Restauration, hébergement, arts et spectacles
Transport
Services personnels
Construction

Secteurs plus résilients

Mines, pétrole et gaz
Finance et assurance
Services professionnels
Santé
Technologies de l’information

Source : Desjardins