L’investissement controversé dans la société de sécurité Allied revient hanter la Caisse de dépôt et placement du Québec

En commission parlementaire, mardi, le patron de la Caisse, Charles Emond, a dû répondre aux questions du député de Maurice-Richard, Haroun Bouazzi, au sujet de la participation de la société Allied dans Policity Corporation en Israël. Cette entité exploite une école de police qui forme les gardiens de prison dont les agissements sont dénoncés par des organismes non gouvernementaux. La Caisse est actionnaire d’Allied depuis 2019.

« Des cas de torture à l’égard de prisonniers politiques palestiniens, y compris des enfants, sont largement documentés par des organisations de défense des droits de la personne », a dit le député Bouazzi, avant de demander à M. Emond de justifier le maintien de son investissement dans cette société

« Je suis entièrement d’accord avec vous, a répondu le numéro un de la Caisse. Ce n’est pas le genre d’activités auxquelles on souscrit du tout. […] Il n’y a pas de seuil de matérialité de notre côté. Dès qu’il y a des activités comme ça, même un seul cas, on met ça à l’agenda et on met de la pression sur la compagnie où on détient 2 administrateurs sur 11 au conseil. [Allied] est un placement privé, on ne pourrait pas vendre immédiatement comme en Bourse pour une entreprise cotée. On a 28 % [des actions], donc on est minoritaire. »

On a plusieurs appels avec la société sur le sujet en question dont vous faites mention. Lors de la transaction avec G4S, Allied et G4S s’étaient engagées à vendre certaines activités. On pousse l’entreprise à faire ce qu’elle a dit qu’elle ferait. On n’a pas d’inquiétudes qu’à terme, c’est ce qui va arriver.

Charles Emond, président et chef de la direction de la Caisse de dépôt

M. Emond a rappelé que la Caisse avait investi dans Allied en février 2019 avant que celle-ci acquière G4S. C’est par le truchement de G4S qu’Allied détient aujourd’hui une participation de 25 % dans Policity. Le partenaire est une entreprise locale. Il a aussi souligné que Policity était un poids plume chez Allied, représentant moins de 5 millions de dollars de revenus annuels.

La haute direction de la Caisse rendait compte de sa gestion devant les élus dans le cadre de l’étude annuelle des crédits du gouvernement du Québec.

Ce n’est pas la première fois que l’investissement dans la firme Allied place la Caisse dans une position délicate.

De nombreux risques exposés

Dans un dossier publié en juin 2020, La Presse avait exposé les nombreux risques encourus par le bas de laine des Québécois en s’associant à une firme de sécurité privée américaine, concurrente, de surcroît, de la société québécoise GardaWorld. La Caisse a aussi le mandat de contribuer au développement économique du Québec1.

On y faisait état d’une poursuite déposée par une personne noire à l’endroit de quatre agents d’Allied qui l’avaient passée à tabac deux ans plus tôt dans une gare de train de banlieue de Denver, où les agents travaillaient pour le compte de la société de transport régionale. À l’époque, la Caisse avait défendu son investissement sans réserve.

À peine quelques mois plus tard, le patron de GardaWorld, Stéphan Crétier, accusait la Caisse de lui nuire dans ses efforts d’acquérir G4S. C’est d’ailleurs Allied qui a finalement mis le grappin sur G4S. Il est extrêmement rare qu’un dirigeant québécois critique publiquement l’institution québécoise⁠2.

Investissements réalisés sous Stéphane Etroy

L’investissement dans Allied a été piloté par l’équipe des placements privés hors Québec menée à Londres par Stéphane Etroy, cadre de haut niveau qui était payé à prix d’or, plus que quiconque à la Caisse en 2018, y compris le grand patron Michael Sabia. M. Etroy a travaillé à la Caisse de 2015 à 2019. Cette année-là, il a eu droit à un boni annuel de 1,9 million même si son départ avait été annoncé avant la fin de l’année financière.

C’est aussi M. Etroy qui est responsable de l’investissement de la Caisse dans Clarios, recycleur de batteries d’automobile qui est soupçonné d’avoir contribué à la contamination au plomb du voisinage de ses usines mexicaines. Après l’arrivée de la Caisse parmi ses actionnaires en 2019, Clarios a fermé son usine américaine pour transférer les activités au Mexique, où les normes environnementales sont moins élevées et moins respectées qu’aux États-Unis. L’affaire a fait l’objet d’un reportage du New York Times cette année. La Caisse a dit en mars dernier être en conversation avec Clarios à ce sujet3.

1. Lisez « La Caisse et les dangers de la sécurité privée » 2. Lisez « Guerre ouverte entre Garda et la Caisse » 3. Lisez « Une entreprise de la Caisse trop polluante ? »