Avec de coûteux chantiers à réaliser pour atténuer les misères des voyageurs, Aéroports de Montréal (ADM) confie les rênes de ses finances à un cadre qui n’a jamais occupé de telles fonctions, une décision qui fait sourciller des spécialistes de la gestion. Mieux vaut quelqu’un que l’on connaît bien que l’inverse, rétorque la présidente du conseil d’administration de l’organisation, Mélanie Kau.

Nommé en juillet dernier, Aymeric Dussart travaille pour le gestionnaire de Montréal-Trudeau et Mirabel depuis bientôt 12 ans. S’il a déjà effectué de l’analyse de données et de la modélisation, ce sont des responsabilités des technologies de l’information qui lui ont été confiées ces dernières années.

« C’est irrégulier, affirme Richard Leblanc, spécialiste en gouvernance, droit et éthique à l’Université York, à Toronto. On parle de quelqu’un de spécialisé dans les technologies de l’information. Cela fait sourciller quand l’on confie un poste financier à une personne qui ne détient pas la formation adéquate. »

Avant d’obtenir cette promotion, M. Dussart était vice-président, technologies et innovation. Titulaire d’une maîtrise en économie et d’une autre en gestion informatique, ce dernier n’est ni comptable professionnel agréé (CPA) ni analyste financier agréé (CFA) – des titres que possèdent généralement des directeurs financiers.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Aymeric Dussart est le chef de la direction financière d’Aéroports de Montréal depuis juillet dernier.

Dans une organisation, le directeur financier est en quelque sorte le chien de garde des finances. Il gère les budgets, planifie les dépenses à venir en plus d’être garant de tout ce qui gravite autour de la conformité financière. En entrevue avec La Presse, Mme Kau défend la candidature de M. Dussart.

C’est quelqu’un qui comprend profondément les besoins d’un aéroport. Quelqu’un que l’on connaît vaut mieux que quelqu’un que l’on ne connaît pas. [M. Dussart], c’est quelqu’un qui a un parcours que l’on respecte. Dans l’équipe [des finances], il y a 10 CPA.

Mélanie Kau, présidente du conseil d’administration d’ADM

M. Dussart a été nommé environ deux mois avant l’arrivée du nouveau président-directeur général Yves Beauchamp. Membre du conseil d’ADM depuis trois ans, il en est à ses premières armes aux commandes d’une organisation dont le modèle s’apparente à celui d’une entreprise privée. Celui-ci a néanmoins piloté d’importants projets d’infrastructure alors qu’il occupait les postes de vice-principal, administration et finances, à l’Université McGill et directeur général de l’École de technologie supérieure.

Juste à Montréal

Dans les autres grands aéroports du pays – Toronto (Pearson), Calgary et Vancouver –, les gestionnaires responsables des finances ont tous occupé des fonctions similaires auparavant. Ils détiennent tous des titres de CPA ou de CFA.

Ces certifications ne sont pas obligatoires pour gérer les finances d’une organisation, mais elles sont courantes. Chez FEI Canada, association professionnelle réunissant plus de 1100 cadres financiers, près de la moitié des membres se décrivent comme des directeurs financiers. De ce nombre, 96 % sont des CPA.

Sur cet aspect, le parcours de M. Dussart détonne.

« Rien ne laisse penser qu’il aurait les compétences pour un poste de directeur financier, ni ses expériences professionnelles passées ni même ses diplomations », estime Saidatou Dicko, professeure du département des sciences comptables de l’ESG UQAM.

Défis majeurs

Sur le plan financier, les défis sont nombreux chez ADM. La pandémie de COVID-19 a coûté environ 1 milliard, l’organisme traîne une dette de 2,3 milliards et il doit planifier de coûteux investissements. La congestion provoquée par les longues files de voitures témoigne des limites de la capacité du débarcadère côté « ville », par exemple. Il faudra donc trouver de l’argent. Les experts interrogés par La Presse se demandent si M. Dussart est outillé pour y arriver.

Dans une note publiée en août dernier, l’agence de notation DBRS Morningstar disait s’attendre à une augmentation de l’endettement d’ADM en raison des investissements d’envergure à venir.

Auteur d’un récent ouvrage qui se penche sur les défis qui attendent Montréal-Trudeau, le professeur de gestion des opérations et de la logistique à HEC Montréal Jacques Roy s’étonne du choix de M. Dussart comme responsable des finances.

« Les défis sont majeurs en matière de financement, dit l’expert. Il me semble qu’on aurait pu se tourner vers quelqu’un avec un profil financier, car cette personne va devoir négocier avec des banquiers ou d’éventuels investisseurs si le mode de financement des aéroports devait changer. »

M. Roy se demande aussi pourquoi ADM n’a pas opté pour un dirigeant doté d’une expérience dans l’exploitation des activités aéroportuaires. Il précise cependant qu’il faut laisser la chance au coureur.

De 120 à 130 candidatures ont été analysées pour le poste de président, affirme Mme Kau. Elle affirme que le profil de M. Beauchamp cadrait avec les chantiers qui attendent ADM. Dans le secteur universitaire, ce dernier s’est retrouvé au cœur d’investissements « complexes », notamment l’aménagement du nouveau campus Outremont de l’Université de Montréal, explique Mme Kau. Cette expertise bénéficiera à Montréal-Trudeau, qui s’apprête à entrer dans cette phase, dit-elle.

Lisez « Les sept plaies de Montréal-Trudeau »

Aéroports de Montréal en bref

Mandat : gestionnaire et exploitant des aéroports Montréal-Trudeau et Mirabel

Employés à temps plein : 534

Revenus : 652 millions

Trafic de passagers : 16 millions

Chiffres de 2022

En savoir plus
  • 66,5 millions
    Excédent dégagé par ADM pendant les six premiers mois de l’année
    Source : Aéroports de Montréal