La femme d’affaires Marilou est connue pour Trois fois par jour, ses recettes et ses chansons. Directrice invitée de la section Affaires, elle a confié à nos journalistes et chroniqueurs la mission de répondre à ses interrogations d’entrepreneure.

Le mot de Marilou

Je n’ai pas la moindre idée de ce que va devenir mon entreprise quand je sentirai le besoin de m’arrêter, mais je mentirais si je disais que je n’ai jamais rêvé que mes filles ou que l’une d’entre elles souhaitent poursuivre ma mission. Mais lorsque je m’évade dans ces pensées, je reviens vite à la réalité et je m’imagine très bien tous les défis que ça engendrerait. Reprendre la mission d’une entreprise en tenant compte de son unicité, de sa créativité et de ses capacités nécessite certainement beaucoup de préparation. Je me demande souvent comment on fait pour y arriver.

Le Québec entrepreneurial connaît un afflux de transferts générationnels de la direction et de la propriété de PME d’origine familiale.

Or, pour les « repreneurs » d’une PME familiale, souvent de jeunes adultes en fin d’études et en début de carrière, il n’est jamais évident de bien réaliser un tel transfert de la propriété, en plus des responsabilités de gestion qui viennent avec.

« Même si j’avais travaillé avec mon père dans son entreprise durant mes années d’études en génie mécanique, j’ai quand même subi un certain clash avec l’ajout de tâches de gestion et la perception des employés de longue date lorsque je suis devenu le grand patron après le rachat des parts de mon père », relate Yanik Péloquin, président de Gicleurs Acme, à Boucherville.

Il est aussi le petit-fils du fondateur de cette entreprise d’une soixantaine d’employés qui installe ou rénove des systèmes de gicleurs anti-incendie dans plusieurs chantiers de gros bâtiments dans la région métropolitaine de Montréal.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Yanik Péloquin en compagnie d’un de ses employés

Je n’étais pas sûr d’aimer ça au début. Mais je m’y suis adapté même si ce fut un peu plus difficile que je m’y attendais.

Yanik Péloquin, président de Gicleurs Acme

« Ça va bien maintenant, avec notre capacité de production et un carnet de commandes bien occupé, ainsi qu’un besoin croissant de rehausser nos systèmes de gestion. N’empêche, j’aurais souhaité avoir été mieux préparé à gérer les aléas d’un tel transfert de la PME fondée par mon grand-père et longtemps dirigée par mon père. C’est d’ailleurs pourquoi j’ai continué de faire des formations d’appoint en gestion et que ma sœur, qui était déjà coactionnaire passive de l’entreprise, a pris congé de son emploi régulier pour s’impliquer davantage dans la gestion comptable. »

Développer son « savoir-être »

De l’avis de Jessica Grenier, présidente et associée chez Espace Oria, une firme d’analyse-conseil en repreneuriat familial, les jeunes gens d’affaires impliqués dans un projet de transfert de la PME familiale doivent demeurer attentifs à l’évolution des relations interpersonnelles avec leurs collègues non familiaux. Et ce, tout au long des étapes de leur prise en mains de la direction de l’entreprise fondée et dirigée par leurs parents.

Au-delà des savoir-faire de base en gestion, le développement d’un bon ‟savoir-être” interpersonnel dans l’entreprise et dans son milieu d’affaires est un atout important de succès pour les jeunes repreneurs d’une entreprise familiale.

Jessica Grenier, présidente et associée chez Espace Oria

À la direction de Construction J.P. Roy, une entreprise de 125 employés en travaux d’excavation et en location de machinerie établie à Beauharnois, sur la Rive-Sud, la transition vers la troisième génération s’est amorcée au début de 2021.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

De gauche à droite : Marie-Josée Roy, Francis Roy, Marie-Ève Roy, Nicolas Roy et Daniel Roy

Avec leur sœur Marie-Ève Roy, une récente diplômée en comptabilité, les frères Francis – formé en génie civil – et Nicolas – qui a appris son métier de gestionnaire dans la pratique – viennent de terminer le transfert des parts et des responsabilités de gestion de leur père, Daniel Roy. Il est récemment retraité de la coprésidence – avec sa sœur Marie-Josée – de l’entreprise établie en 1960 par leur père, Jean-Paul Roy.

Les jeunes Roy de troisième génération avaient déjà quelques années d’expérience de travail à temps partiel et ensuite à temps plein dans la PME familiale.

« Ce fut un peu plus long et compliqué par moments que ce que nous avions anticipé avec nos quelques années d’expérience avec la gestion et la direction de l’entreprise », relate Francis Roy, lors d’une discussion avec La Presse. Il est en compagnie de son frère et de sa sœur, ainsi que de leur père Daniel et de leur tante Marie-Josée, qui demeure coprésidente et coactionnaire de Construction J.P. Roy.

Mais en fin de compte, souligne Francis Roy, cela s’est bien déroulé. « Notre transfert a bien été parce que nous nous y étions bien préparés dans la famille et avec nos principaux collègues. Mais aussi, nous nous sommes bien entourés de conseillers professionnels (comptables, fiscalistes, juristes, etc.) qui savaient où s’en aller avec tout ça. »

De bonnes discussions longtemps d’avance

« Au Québec, les relevés dans le secteur des PME indiquent que près des deux tiers (61 %) de leurs dirigeants-propriétaires ont des intentions de transfert d’ici 10 ans. Or, parmi les PME familiales, un peu plus de la moitié (54 %) n’ont pas encore de plan de relève », signale Alexandre Ollive, directeur général du Centre de transfert d’entreprise du Québec (CTEQ), un organisme-conseil d’envergure provinciale et soutenu financièrement par le ministère de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie.

Pourtant, parmi les erreurs qu’il faut éviter pour la bonne réalisation d’un transfert d’entreprise familiale, c’est de négliger la tenue de bonnes discussions préparatoires en conseil de famille ou en comité de direction de la PME familiale.

Alexandre Ollive, directeur général du CTEQ

« Aussi, ces entrepreneurs familiaux ne doivent pas tenter de faire ça tout seuls, poursuit M. Ollive. C’est important dès le début d’un projet de transfert de la PME familiale que les entrepreneurs cédants et leurs successeurs soient bien entourés de conseillers experts et relativement indépendants de la parenté familiale. »

« À la différence d’un transfert d’entreprise sans lien familial, le transfert d’une entreprise à direction familiale d’une génération à l’autre est beaucoup plus susceptible de générer des enjeux émotifs et interpersonnels qui vont bien au-delà des seuls enjeux comptables, fiscaux et juridiques. D’où l’importance de s’y préparer avec de bonnes discussions en conseil de famille et en comité de direction de l’entreprise », note Catherine Beaucage, directrice en transfert d’entreprises au sein du groupe d’analyse-conseil Familles en affaires de HEC Montréal.

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