(Ottawa) Le ministre de l’Industrie, François-Philippe Champagne, ne veut pas indiquer si le remplacement d’une flotte d’avions militaires vieillissants fera l’objet d’un processus ouvert d’appel d’offres, alors que les premiers ministres des deux plus grandes provinces du Canada et Bombardier l’exhortent à « uniformiser les règles du jeu » dans un « processus profondément défectueux ».

Le ministre Champagne a indiqué mardi aux journalistes, à Ottawa, que le gouvernement fédéral n’avait pas encore pris de décision quant à savoir si Bombardier aurait la chance de soumettre une proposition pour fournir de nouveaux avions de surveillance.

« Il n’y a pas de décision de prise, a déclaré M. Champagne. Dans des acquisitions militaires, c’est rarement très, très rapide. C’est complexe aussi. »

« On va prendre la meilleure décision dans l’intérêt des Canadiens », a-t-il ajouté, en précisant que le coût, la disponibilité et les capacités des appareils seront examinés.

Depuis des mois, le chef de la direction de Bombardier, Éric Martel, encourage Ottawa à lancer un appel d’offres alors qu’il fait la promotion de l’avion de surveillance encore inexistant de l’entreprise, par rapport à l’option de recourir aux avions de Boeing, qui sont apparemment favoris dans ce dossier.

Il a déclaré au Comité permanent de la défense nationale de la Chambre des communes, mardi, que le processus d’approvisionnement était « profondément défectueux et manquait de transparence ». M. Martel a affirmé que le gouvernement avait apporté des changements critiques à ses critères – parmi lesquels un délai de livraison beaucoup plus court et un produit existant « disponible sur les tablettes » – sans en informer les acteurs de l’industrie.

Bombardier a uni ses forces, plus tôt cette année, avec la société américaine General Dynamics sur un avion de surveillance, un biréacteur d’affaires Global 6500 modifié doté d’une technologie de chasse aux sous-marins. Les deux entreprises espèrent que leurs efforts pourraient leur permettre de remplacer les 14 avions de patrouille maritime CP-140 Aurora de l’Aviation royale canadienne au début des années 2030, après un demi-siècle de service.

Cependant, Simon Page, sous-ministre adjoint à l’Approvisionnement maritime et de défense, a déclaré mardi au comité de la défense que « nous avons conclu que le P-8A Poséidon était le meilleur avion pour répondre aux besoins opérationnels du Canada ». Le Poséidon est construit par Boeing.

Ce point de vue réitère une analyse des Services publics et Approvisionnement Canada, qui souligne les atouts de l’avion en matière de collecte de renseignements, de surveillance et de guerre anti-sous-marine. Toutefois, la conclusion du ministère ne déclenche pas « une certaine direction » pour le processus d’approvisionnement, a indiqué M. Page, qu’il soit attribué à un fournisseur exclusif ou à un appel d’offres.

Plus tôt dans la journée, les premiers ministres de l’Ontario, Doug Ford, et du Québec, François Legault, ont renouvelé leur demande de juillet visant à « uniformiser les règles du jeu » et à lancer un appel d’offres.

« Les manufacturiers canadiens ont répondu à cet appel, mais le gouvernement fédéral continue de manifester son intention d’exclure ces compagnies et leurs travailleurs de son processus d’approvisionnement », ont affirmé les premiers ministres dans une déclaration commune.

Ils ont demandé à la Chambre des communes de « de mandater le Directeur parlementaire du budget afin qu’il détermine les coûts et conséquences de cette décision ».

Le président-directeur général de Bombardier a vanté les avantages de son avion, affirmant qu’il serait jusqu’à 40 % moins cher que celui de Boeing et soulignant qu’il serait construit et assemblé à Montréal et à Toronto.

« Nous pouvons le faire et nous pouvons réellement livrer un produit de qualité supérieure », a déclaré M. Martel aux journalistes après un discours prononcé au Sommet de l’aérospatiale canadienne, à Ottawa mardi matin.

Boeing, comme Bombardier et General Dynamics, a cherché à vanter sa bonne foi au Canada.

Le P-8A du géant de l’aviation soutiendrait plus de 2900 emplois et générerait 358 millions de production économique au Canada par an, selon une étude commandée par Boeing au cabinet de consultants en gestion Doyletech.

Le gouvernement fédéral a également noté la prédominance du P-8 parmi les alliés canadiens.

« Cette plateforme est une capacité éprouvée qui est exploitée par plusieurs partenaires de défense du Canada, notamment tous ses alliés du Groupe des cinq – les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Australie, la Nouvelle-Zélande – ainsi que la Norvège et la Corée du Sud. L’Allemagne a également récemment acheté cette plateforme », a indiqué le service des achats dans un communiqué, le 27 mars.

En février 2022, le ministère a envoyé une lettre de demande d’offre sur 16 avions Boeing via le programme de ventes militaires à l’étranger du gouvernement américain. Il a précisé que sa demande « n’engage pas le Canada à acheter le P-8A Poséidon et que le projet reste en analyse d’options ».

Mardi, le ministre Champagne a souligné les liens des fournisseurs canadiens de l’aérospatiale avec une gamme de fabricants – pas seulement canadiens – suggérant qu’un contrat avec une entreprise étrangère pourrait toujours avoir des effets lucratifs au pays.

« Le Québec est la troisième plateforme au monde pour bâtir des avions », a déclaré M. Champagne.

« N’oubliez jamais qu’il y a des fournisseurs qui fournissent autant Bombardier d’un côté que Boeing de l’autre, a-t-il ajouté. Notre devoir envers les contribuables, c’est de prendre la meilleure décision pour les contribuables, pour la défense, pour la sécurité nationale, mais évidemment pour l’écosystème. »

Le Québec abrite 61 % des emplois du Canada dans le secteur aérospatial, selon l’Agence américaine pour le commerce international.

L’industrie a contribué pour plus de 27 milliards au produit intérieur brut (PIB) du Canada et a créé près de 212 000 emplois l’année dernière, selon l’agence commerciale, même si la majeure partie de la production est destinée à l’aviation civile plutôt qu’à la défense.

Troy Crosby, sous-ministre adjoint au Groupe des matériels, a déclaré mardi que le remplacement des avions Aurora n’est pas un « besoin opérationnel urgent », étant donné que la date de leur mise à la retraite « n’est pas très précise ».

Avec des informations de Michel Saba, à Ottawa