Nous vous souhaitons de ne jamais être exproprié sous la nouvelle loi que souhaite adopter la ministre Geneviève Guilbault.

Calcul injuste des indemnités auxquelles vous avez droit, plafonnées de surcroît. Frais juridiques non remboursés. Date d’évaluation qui vous appauvrit. Vous aurez le vent de face, croyez-nous. L’Assemblée nationale vient de terminer l’étude du projet de loi 22, qui vise à « moderniser » le processus d’expropriation au Québec. Si c’est une demande de longue date d’améliorer les choses, c’est malheureusement tout le contraire qui est en train de se matérialiser ; un recul important en matière de droit à la propriété.

Nous sommes évaluateurs agréés, experts en expropriation, et nous sommes préoccupés. Le projet de loi sur l’expropriation, présenté par la ministre du plus important corps expropriant du Québec, madame Geneviève Guilbault, modifiera les règles du jeu, et causera un risque financier bien réel pour les propriétaires et locataires du Québec, petits et grands. Certains éléments nous préoccupent davantage.

Par exemple, on vous signifie en mars que vous serez exproprié (disons que votre maison vaut alors 400 000 $) pour un projet que votre municipalité veut réaliser, et qu’avec toutes les étapes du processus d’expropriation, vous libérez votre résidence en novembre (votre maison vaut maintenant 425 000 $), on ne vous indemnisera que pour 400 000 $ – valeur à la date à laquelle on vous a remis l’avis d’expropriation. Vous devrez donc débourser de votre propre poche 25 000 $ pour vous reloger aux mêmes conditions, sans enrichissement ni appauvrissement. Avez-vous 25 000 $ « de lousse » ?

Pire encore, le projet de loi prévoit que même si vous souhaitez être représenté par un avocat lors des différentes étapes du processus d’expropriation, ces frais ne vous seront pas remboursés et vous devrez faire confiance aux avocats des autorités expropriantes pour espérer faire respecter vos droits. Il s’agit d’un rapport de force inéquitable qui peut causer un préjudice à l’exproprié.

Plafond d’indemnités

Là où le bât blesse, c’est qu’en plus de tous ces risques importants qu’ont déplorés plusieurs organisations, comme le Barreau, l’Ordre des évaluateurs agréés du Québec, le Groupe Altus, l’Institut de développement urbain et le cabinet d’avocats Fasken, la ministre va encore plus loin. Le projet de loi plafonne certaines indemnités auxquelles vous devriez avoir droit. En gros, ça veut dire que si l’on vous doit une indemnité de 100 000 $, on pourrait vous donner 30 000 $ ou 40 000 $. On ne peut pas d’un côté plaider pour un plafonnement des indemnités et plaider à la fois pour un processus juste et équitable. Ce sont deux concepts en parfaite, totale et complète opposition.

Gardons en tête qu’une expropriation est un droit exceptionnel octroyé à certains corps publics et qu’il porte directement atteinte au droit de propriété en dépossédant un propriétaire de son immeuble. La transaction s’effectue dans un contexte où le propriétaire n’a décidé ni de vendre ni du moment où il sera dépossédé de son bien. C’est une épreuve humainement très difficile pour l’exproprié, et qui mérite qu’on soit sérieux.

Le projet de loi 22 est une occasion unique pour le Québec de se doter d’une loi moderne, qui améliore le processus d’expropriation pour l’ensemble des Québécois et au profit de la collectivité. Il faut le faire. Malheureusement, dans sa mouture actuelle, nous craignons qu’il cause un préjudice aux gens expropriés – et qu’on rate une occasion pourtant longuement souhaitée.

Pour maintenir l’équilibre nécessaire à l’expropriation, la ministre a le devoir d’agir et d’amender le projet de loi 22, pour protéger celles et ceux qui lui ont accordé leur confiance il y a tout juste un an.

Cosignataires : Nathalie Bédard, É. A., Frédérick Bélanger, É. A., Louis Bergeron, É. A., Mathieu Bisaillon, É. A., Anne-Marie Boucher, É. A., Anne-Marie Bourget, É. A., Roxanne Carrier, É. A., Steve Cassidy, É. A., Marc Cofsky, É. A., Louis Deschênes, É. A., Yvan Desnoyers, É. A., Roxanne Dufresne, É. A., Annie Dugré, É. A., Hugo Généreux, É. A., Neil Gold, É. A., François Guertin, É. A., Sébastien Jean, É. A, Adm. A., Marc Laroche, É. A., Guy-André Nogret, É. A., Sara Rail, É. A., et Mathieu Sénéchal, É. A.