(Ottawa) Le gouvernement Trudeau affirme qu’il tiendra compte des démarches de Boeing qui ont été menées aux États-Unis dans le passé et qui ont nui aux entreprises canadiennes avant d’accorder le lucratif contrat visant à remplacer la flotte vieillissante des avions de surveillance Aurora de l’Aviation royale canadienne.

Ce contrat est évalué à 9 milliards de dollars et Ottawa jongle avec l’idée de l’accorder à Boeing sans appel d’offres au motif que la société américaine serait la seule en mesure de construire les avions de surveillance en question dans les délais impartis.

Or, Bombardier soutient bec et ongles posséder le savoir-faire et la capacité de construire de tels appareils à la fine pointe de la technologie dans les délais exigés, et l’entreprise exige qu’Ottawa lance un appel d’offres en bonne et due forme au lieu d’accorder un contrat de gré à gré à Boeing pour l’achat de 16 avions P-8A Poseidon.

Interrogé au sujet de la clause dite « Boeing » – le nom donné à une directive d’Ottawa adoptée en 2017 afin de pénaliser des entreprises étrangères qui ont porté atteinte aux intérêts économiques du Canada en menant des contestations commerciales –, le ministère des Services publics et de l’Approvisionnement a indiqué à La Presse qu’elle s’applique dans ce dossier.

« L’évaluation des impacts économiques pour les approvisionnements importants militaires et de la Garde côtière canadienne est toujours en vigueur, et s’applique au remplacement de la flotte d’avions CP-140 », a indiqué Alexandre Baillargé-Charbonneau, porte-parole du Ministère.

Une décision « pas encore prise »

« Les discussions concernant le remplacement de la flotte d’avions CP-140 Aurora se poursuivent et aucune décision n’a été prise. La décision finale sera fondée sur l’évaluation effectuée par le Canada de la capacité offerte, de la disponibilité, du prix et des retombées sur les entreprises et les collectivités canadiennes », a-t-il ajouté.

Selon Bombardier, le maintien de la « clause Boeing » justifie plus que jamais qu’Ottawa lance un appel d’offres.

« La seule manière pour le Gouvernement du Canada de suivre les politiques d’approvisionnement en place et de procéder à l’évaluation des impacts économiques en bonne et due forme est d’opter pour un processus d’approvisionnement juste, ouvert et transparent. Nous demandons le lancement d’un appel d’offre afin de permettre une analyse rigoureuse des plateformes proposées afin que le Canada sélectionne la solution représentant la meilleure valeur pour le gouvernement canadien, la Défense nationale et les contribuables canadiens », a indiqué Arevig Afarian, porte-parole de l’entreprise.

Le gouvernement Trudeau a adopté une telle clause après que le département américain du Commerce eut décidé d’imposer des droits punitifs de 300 % à l’encontre de Bombardier à la suite d’une plainte du géant américain. Dans sa plainte, Boeing alléguait avoir subi un préjudice en raison des subventions gouvernementales attribuées à son concurrent québécois qui lui auraient permis d’offrir des prix jugés dérisoires à Delta Air Lines pour décrocher une commande de 75 appareils CS100 en 2016.

Mais Boeing a subi un cuisant revers devant la Commission américaine internationale pour le commerce, qui a annulé les droits punitifs quelques mois plus tard.

Une politique réaffirmée

Tandis que le gouvernement Trudeau étudiait des contrats d’achats militaires, il a décidé d’envoyer un avertissement aux Boeing de ce monde.

En 2017, Ottawa a ainsi annoncé que l’évaluation des soumissions pour le concours visant à remplacer les avions de chasse du Canada comprendrait une évaluation de l’incidence des soumissionnaires sur les intérêts économiques du Canada et que tout soumissionnaire qui aurait nui aux intérêts économiques du Canada serait désavantagé.

Cette politique a été réaffirmée dans le budget de la ministre des Finances Chrystia Freeland de 2021 dans le cas des principaux approvisionnements de la Défense et de la Garde côtière à l’avenir.

« Les entreprises qui ont porté atteinte aux intérêts économiques du Canada au moyen de contestations commerciales verront leurs points déduits de la note liée à leur soumission à un niveau proportionnel à la gravité des répercussions économiques, jusqu’à une pénalité maximale. Cette politique protégera les intérêts économiques du Canada et veillera à ce que le gouvernement fasse affaire avec des partenaires de confiance, qui valorisent leur relation commerciale avec le Canada », pouvait-on lire dans le budget de 2021.

Pressions pour un appel d’offres

Il y a deux semaines, le comité de la Défense, qui s’est penché sur les démarches d’Ottawa visant à remplacer les avions de surveillance, a adopté une motion exhortant le gouvernement Trudeau à tenir un appel d’offres, comme l’exige Bombardier.

Cette motion a été adoptée après une déclaration publiée par le premier ministre du Québec, François Legault, et le premier ministre de l’Ontario, Doug Ford, pressant aussi Ottawa d’écarter l’idée d’accorder un tel contrat sans tenir un appel d’offres.

Selon le Bloc québécois, l’existence de la « clause Boeing » démontre plus que jamais l’importance de tenir un appel d’offres.

« C’est une compagnie qui a su faire mal dans le passé à notre industrie. On ne comprend toujours pas l’obstination d’Ottawa de vouloir à tout prix lui donner tout cuit dans le bec le contrat des avions de surveillance », a affirmé le député bloquiste Simon-Pierre Savard-Tremblay.