Les États-Unis se sont lancés dans la plus grande offensive de politique industrielle depuis des générations, promettant des allègements fiscaux, des subventions et d’autres incitatifs financiers pour attirer des usines fabriquant des panneaux solaires, des semi-conducteurs et des véhicules électriques.

Ces dépenses visent à faire décoller le marché intérieur pour des produits cruciaux, mais elles ont des répercussions bien au-delà des États-Unis. Elles poussent les gouvernements d’Europe et d’Asie de l’Est à tenter de suivre le mouvement en proposant leurs propres programmes, déclenchant ce que certains appellent une course mondiale aux subventions.

Certains gouvernements, notamment en Europe, ont accusé les États-Unis de protectionnisme et ont passé des mois à se plaindre de leur politique auprès de l’administration Biden. Les gouvernements de l’Union européenne, du Royaume-Uni et d’autres pays se demandent comment contrer les politiques américaines en proposant leurs propres incitatifs afin d’attirer les investissements et d’empêcher leurs entreprises de se délocaliser aux États-Unis.

« Je pense que nous nions tous l’existence d’une course aux subventions, mais dans une certaine mesure, c’est ce qui se passe », a affirmé Markus Beyrer, directeur général de BusinessEurope, la plus grande association commerciale d’Europe.

Les États-Unis déploient près de 400 milliards de dollars de dépenses et de crédits d’impôt pour soutenir leur industrie nationale des énergies propres dans le cadre de la Loi sur la réduction de l’inflation de 2022. Une autre somme de 280 milliards de dollars est destinée aux installations de fabrication et de recherche sur les semi-conducteurs, ainsi qu’à la recherche technologique au sens large.

PHOTO PHILIP CHEUNG, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Un modèle de voiture électrique américain est garé dans un stationnement de Baker, en Californie.

Selon l’administration Biden, l’ensemble du programme permettra de libérer 3500 milliards de dollars de capitaux publics et d’investissements privés au cours de la prochaine décennie. Il s’agit à la fois d’une réponse aux subventions considérables offertes par les gouvernements de Chine et d’Asie de l’Est, et d’une tentative de reconstruction d’un secteur industriel américain vidé de sa substance par des décennies de délocalisations.

L’administration affirme que ces investissements permettront aux États-Unis d’être mieux armés pour faire face au changement climatique et les rendront moins dépendants des chaînes d’approvisionnement potentiellement risquées qui passent par la Chine.

Course « préoccupante »

Mais ces dépenses ont suscité des inquiétudes quant à l’utilisation des fonds publics au détriment d’autres priorités et à l’alourdissement de la dette des pays à un moment où les taux d’intérêt élevés rendent les emprunts plus risqués et plus coûteux.

Gita Gopinath, première directrice générale adjointe du Fonds monétaire international, a admis lors d’une interview en octobre que la course aux dépenses était « préoccupante ».

Mme Gopinath a cité des statistiques montrant que chaque fois que les États-Unis, l’Union européenne ou la Chine mettent en place des subventions ou des droits de douane, il y a de fortes chances que l’un des deux autres réagisse par ses propres subventions ou droits de douane dans l’année qui suit.

Nous assistons à un jeu de réciprocité.

Gita Gopinath, première directrice générale adjointe du Fonds monétaire international

La concurrence en matière de dépenses met également à rude épreuve les alliances en donnant aux entreprises qui fabriquent des produits prisés tels que les batteries, l’hydrogène et les semi-conducteurs la possibilité de faire du « magasinage », c’est-à-dire de jouer les gouvernements les uns contre les autres en essayant de trouver l’endroit le plus accueillant pour leurs technologies.

Freyr Battery, une entreprise fondée en Europe qui développe des batteries lithium-ion pour les voitures, les bateaux et les systèmes de stockage, était sur le point de construire une usine en Norvège lorsque ses dirigeants ont appris que la Loi sur la réduction de l’inflation était en cours d’élaboration. En réponse à cette loi, l’entreprise a transféré sa production dans une usine en Géorgie.

« Nous pensons qu’il s’agit d’un élément vraiment ingénieux de la politique industrielle moderne et, par conséquent, nous avons changé notre fusil d’épaule », a affirmé Birger Steen, PDG de Freyr, lors d’une entrevue. « La montée en puissance se fera aux États-Unis, et ce, en raison de la Loi sur la réduction de l’inflation. »

M. Steen a précisé que l’entreprise maintenait l’usine norvégienne prête pour un « démarrage à chaud », ce qui signifie que la production pourrait augmenter dans ce pays si les politiques locales devenaient plus favorables. L’entreprise discute avec les décideurs politiques de la manière dont ils peuvent concurrencer les États-Unis, a-t-il ajouté.

Concurrence à somme nulle

Certains pays profitent directement des dépenses américaines, notamment le Canada, qui bénéficie de certains des avantages de la Loi sur l’énergie propre et qui possède des exploitations minières dont les États-Unis sont dépourvus.

Killian Charles, PDG de Brunswick Exploration, à Montréal, a estimé lors d’une entrevue que l’industrie canadienne du lithium devrait bénéficier de la relocalisation de la fabrication des batteries aux États-Unis et de la recherche de sources de matières premières à proximité.

Mais dans la plupart des cas, la concurrence semble être à somme nulle.

PHOTO BRENDAN GEORGE KO, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Mine de lithium à ciel ouvert de La Corne, en Abitibi-Témiscamingue

David Scaysbrook, associé directeur du Quinbrook Infrastructure Partners Group, qui a contribué au financement de certains des plus grands projets d’énergie solaire et de batteries aux États-Unis, a soutenu que la loi américaine sur l’énergie propre était la législation la plus influente introduite par un pays et que les autres gouvernements n’étaient pas en mesure de reproduire « l’ampleur » de cette loi.

Les autres pays ne peuvent pas rivaliser avec cette puissance de feu fiscale. Il est évident que c’est une menace pour l’UE ou d’autres pays.

David Scaysbrook, associé directeur du Quinbrook Infrastructure Partners Group

Les États-Unis ont cherché à apaiser certaines des inquiétudes de leurs alliés en signant de nouveaux accords commerciaux permettant à leurs partenaires étrangers de bénéficier de certains des avantages de la Loi sur l’énergie propre. En mars, les États-Unis ont signé avec le Japon un accord sur les minéraux qui permettra aux installations japonaises de fournir des minéraux pour les véhicules électriques bénéficiant de crédits d’impôt américains. Depuis l’année dernière, les autorités américaines négocient un accord similaire avec l’Europe.

Toutefois, lors d’une réunion en octobre, les États-Unis et l’Europe se sont affrontés au sujet d’une proposition américaine visant à autoriser les inspections du travail dans les mines et les installations produisant des minerais en dehors des États-Unis et de l’Europe. Les fonctionnaires continuent de travailler à la conclusion d’un accord dans les semaines à venir, mais entre-temps, l’absence d’accord a encore assombri les relations entre les États-Unis et l’Union européenne.

Les responsables de l’administration Biden ont continué à défendre leur approche, affirmant que la Loi sur la réduction de l’inflation ne marquait pas un tournant vers le protectionnisme américain et que les dépenses en faveur du climat étaient absolument nécessaires. Même avec des investissements aussi importants, les États-Unis risquent de ne pas atteindre les objectifs internationaux en matière de lutte contre le réchauffement climatique.

La version originale de ce texte a été publiée par le New York Times.

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