Le CL-215 vivait avec les conséquences des modestes conditions de sa naissance. Les cinq courtes séries produites au gré des ventes étaient toujours en quête d’économies de fabrication.

Les effets se manifestaient jusque dans son tableau de bord, constellé de cadrans analogiques.

« Les cadrans étaient achetés au plus bas prix, là où il y en avait, ce qui fait que ce n’était que par séries d’une dizaine d’avions que les cadrans étaient les mêmes », relève l’ancien ingénieur en avionique Sylvain Morel, maintenant à la retraite, qui a été intégrateur en chef en avionique sur l’avion au milieu des années 1990.

« Les systèmes de communication n’étaient jamais pareils d’une série à l’autre. Il était très difficile de faire de l’ingénierie de maintenance là-dessus. »

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Le tableau de bord constellé de cadrans analogiques du CL-215

Mais ce n’était, somme toute, que des inconvénients.

Le principal ennui relevait de ses moteurs à pistons.

Canadair a longtemps cherché un mode de propulsion plus moderne que le vieux R-2800 à 18 cylindres en étoile pour son avion-citerne. L’apparition d’une nouvelle génération de turbopropulseurs à hélices pour le transport régional, au début des années 1980, lui a fourni un moteur suffisamment léger, fiable, puissant et sobre en carburant.

Un premier CL-215T (T pour turbopropulseur), muni de deux moteurs PW123 de Pratt & Whitney Canada, vole en 1989, plus de 20 ans après le vol inaugural du CL-215.

Canadair propose d’abord à ses clients d’installer des turbopropulseurs sur leurs CL-215 existants. L’intégration du nouveau moteur entraîne toutefois une telle cascade de modifications qu’une nouvelle désignation voit le jour : le CL-415.

« Avec autant de puissance, on se retrouve avec des problèmes aérodynamiques », décrit Sylvain Morel. « Tu as tellement de puissance de propulsion que ça prend deux gorilles pour manœuvrer », caricature-t-il.

Pour accroître la stabilité de l’avion, des appendices aérodynamiques sont installés sur les bouts d’aile et sur l’empennage. Une assistance hydraulique est ajoutée aux commandes de vol pour les alléger.

« Dans le 215, les commandes n’étaient pas assistées, souligne l’ancien pilote Gaston Audy. Ça prend de la force pour piloter un 215. Dans un 415, tout est assisté. »

La cabine du CL-415 est désormais climatisée. « Il faisait chaud dans le 215 ! », se remémore le pilote.

Sylvain Morel a participé à de nombreux tests en vol à bord du robuste mais fruste appareil. « Une horreur », confirme-t-il à propos de son esthétisme. « Mais il a du charme ! Il faut voler à bord pour constater comment c’est un avion extraordinaire. »

De l’électricité dans l’air

En raison de la plus grande inertie de leurs turbines, il faut davantage d’énergie pour lancer les turbopropulseurs. De puissantes batteries nickel-cadmium remplacent les vieilles batteries acide-plomb du CL-215.

Il s’ensuit « inévitablement un changement avionique parce que tous les instruments à aiguilles deviennent caducs », relate Sylvain Morel.

Le tableau de bord est complètement réaménagé avec des systèmes électroniques et des écrans numériques. On n’a plus l’impression d’être aux commandes d’un bombardier de la Seconde Guerre mondiale.

« Sur le plan ergonomique, grosse amélioration ! », constate l’ingénieur retraité.

La refonte de l’appareil est aussi l’occasion d’acquiescer à une demande des clients français, qui veulent plus de souplesse dans le largage de l’eau.

Plutôt que deux réservoirs et deux portes, le CL-415 est doté de quatre citernes et quatre portes. Elles contiennent 6135 litres d’eau, soit 15 % de plus que le CL-215.

« Les quatre portes s’ouvrent toutes en même temps, ou deux à la fois à gauche ou à droite, ou une à la fois, ou en séquence », explique Sylvain Morel.

Un nouveau système électronique de contrôle de largage ajuste la séquence et le délai d’ouverture des portes afin de produire la dispersion d’eau optimale en fonction de l’altitude et des caractéristiques de l’incendie.

La fin… et la suite

Le programme du CL-415 est lancé en octobre 1991 sur la base d’une commande d’une douzaine d’appareils par la France.

« C’est une machine qui a évolué sous certains aspects, mais la base du 415 est la même que celle du 215, observe le technicien d’entretien à la retraite Michel Blumhart. Le fuselage a la même longueur et la même largeur. Ce sont les mêmes ailes, à part les winglets [ailettes] au bout des ailes. »

Quelque 95 CL-415 seront achevés entre 1993 et 2015.

Canadair avait été rachetée à General Dynamics par le gouvernement canadien en 1976, puis cédée à Bombardier 10 ans plus tard. Aux prises avec de sérieux problèmes de liquidités, Bombardier Aéronautique a vendu le programme du bombardier d’eau à la firme albertaine Viking en 2016.

En 48 ans, Canadair et Bombardier Aéronautique avaient assemblé quelque 220 avions-citernes.

PHOTO N FAZOS, FOURNIE PAR DE HAVILLAND CANADA

De Havilland Canada a relancé en 2022 le programme du bombardier d’eau, sous le nom DHC-515.

L’histoire n’est pas terminée. De Havilland Canada, qui détient les droits par l’intermédiaire de Viking, a annoncé en mars 2022 qu’elle lançait officiellement le programme de sa version remaniée – et parfaitement reconnaissable –, le DHC-515.

Peut-être laid, mais indémodable.

220 appareils en 48 ans

Nombre de CL-215 construits (de 1967 à 1990) : 125

Nombre de CL-415 construits (de 1993 à 2015) : 95

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Une des deux écopes d’un CL-415.

La légende du nageur aspiré

Dans le roman Barney’s Version (Le monde selon Barney) de Mordecai Richler, une mystérieuse disparition est résolue quand on apprend que le cadavre d’un nageur a été retrouvé au milieu de débris brûlés. Il aurait été aspiré par accident par un bombardier d’eau et largué sur l’incendie.

Un nageur ou un plongeur pourraient-ils être gobés par un CL-215 ou un CL-415 ?

« C’est totalement impossible », assène l’ingénieur à la retraite Sylvain Morel, qui a travaillé sur l’avion amphibie. « Les écopes mesurent environ 4 po sur 5 po (10 cm sur 12 cm). En plus, il y a un quadrillage à l’intérieur de cette ouverture pour s’assurer que des branches ou des débris n’entrent pas dans le conduit. »