On parle beaucoup de concurrence depuis le retour à la vie normale, ou plutôt d’absence de concurrence dans certains secteurs. Monopole, concurrence oligopolistique et dominance sont des termes qui reviennent souvent pour décrire des industries comme les GAFAM, le pétrole, le secteur alimentaire ou l’aviation commerciale et la téléphonie au Canada.

On associe la consolidation de ces secteurs à une déconcertante inflation et à une dégradation de la qualité qu’on subit comme une contrainte imposée, faute de solutions de rechange moins dispendieuses. Et même si plusieurs fantasment sur un nouvel entrant venant d’ailleurs pour brasser les cartes dans des secteurs comme le domaine alimentaire, il y a fort à parier que celui-ci chercherait prioritairement à rentabiliser son énorme investissement bien avant de rétablir les vertus d’un marché concurrentiel avec des baisses de prix tous azimuts.

Pour le consommateur, outre l’incapacité à trouver une solution de rechange pour le bien ou service en question, il peut être difficile de reconnaître les signes d’une industrie consolidée et imposant discrètement ses diktats à son marché. Même pour les experts, il est parfois ardu de s’y retrouver ou carrément risqué de se prononcer. Dans les cas les plus visibles, une impression de collusion soulève des questions des acteurs économiques et des médias. Notre gouvernement fédéral semble aussi impuissant, réagissant récemment à la grogne populaire en optant pour un insignifiant mais si beau « show de boucane » en convoquant les grands de l’alimentation.

Il est vrai que peu d’entreprises se vanteront ouvertement de leur suprématie sur un marché. Aucune n’osera bruyamment célébrer la fin de la sacro-sainte concurrence, conclusion paradoxale du système capitaliste où une lutte sans fin se termine par la domination de quelques-unes.

La solitude, généralement associée au chagrin, est ici synonyme de bonheur, de réussite. Privé de données probantes sur le sujet, l’observateur trouvera toutefois un trait commun à plusieurs entreprises en situation quasi monopolistique : l’arrogance. Celle des GAFAM est grandement documentée, celle des pétrolières aussi.

Pensons aussi au Canadien de Montréal. Quel bel exemple de monopole, à la vue du public. Aucun concurrent sur son marché principal, aucun entrant dans un avenir prévisible. On a le droit de ne pas croire à l’appui de Geoff Molson au retour des Nordiques comme il a le droit de garder confidentielle sa stratégie pour maintenir son monopole et maximiser ses profits. Ceux-ci sont au rendez-vous grâce à un prix de revient avantageux sur la bière, à des produits dérivés coûteux et à des gradins toujours pleins, avec une demande quasi insensible à la qualité du produit principal, c’est-à-dire la performance sportive sur la patinoire.

Vrai que les deux seules véritables vedettes de l’organisation, Martin St-Louis et Chantal Machabée, auront longtemps le même nombre de buts au compteur que Josh Anderson sans disputer un seul match. Pas de soucis, les fefans, bien ancrés en nous, sont au rendez-vous, coûte que coûte. Les fefans, brillamment dépeints par Réjean Tremblay, sont le meilleur exemple sur pattes du phénomène de demande inélastique décrit pas les économistes. Qu’on les dépossède avec un message sur les territoires non cédés et décrivant d’abord (avant une pudique rétraction) leur Montréal francophone comme une communauté parmi tant d’autres, rien ne les ébranle. Avec une base de clientèle aussi zélée qu’indéfrisable, l’organisation mène une croisière qui s’amuse.

On nous surprend parfois avec un brillant hommage à Karl Tremblay pour ensuite retomber dans ses vieux habits avec la couture du logo d’Air Canada sur le chandail des joueurs. Money talks, et les fefans endureront l’ajout d’un symbole de médiocrité, voire de mépris de la langue française à la stratégie de génération de revenus de l’Organisation. Combien d’entreprises locales hors de l’industrie de l’aviation auraient l’outrecuidance de savonner si ostentatoirement les yeux de leur public québécois avec ce logo sur un produit déjà diminué ? La domination et l’absence de concurrence semblent bien s’accommoder de l’arrogance.

Dès lors, comment contrer la consolidation dans nos industries ? La créativité humaine, le savoir, le progrès social et les avancées technologiques conséquentes sont probablement à la fois leur pire ennemi et le meilleur allié du grand public. La musique en ligne a secoué toute une industrie de géants. Le phénomène Ozempic mènera peut-être à un regard neuf sur notre alimentation hypercalorique. Il y en aura d’autres. Et puis, pourquoi pas une vraie ligue nationale féminine au hockey ?