Sans tambour ni trompette, l’Inde est en train de soutirer à la Chine la fabrication des iPhone et d’autres produits Apple.

La production migre vers des zones industrielles boueuses du sud de l’Inde, d’anciennes terres agricoles.

À Sriperumbudur, on appelle Apple « le client », évitant de nommer cette entreprise qui tient à ses secrets.

Mais il y a des choses qu’on ne peut cacher. Deux énormes complexes d’habitation sortent de terre. Une fois terminés, ils formeront chacun un pâté de 13 bâtiments avec 24 chambres par étage autour d’un couloir en forme de L. Chaque chambre aux murs roses hébergera six travailleuses. Chaque édifice accueillera 18 720 employées.

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Des dortoirs en construction destinés aux travailleuses de Foxconn, sous-traitant de fabrication pour Apple.

On se croirait à Shenzhen ou à Zhengzhou, les villes chinoises réputées pour la production des iPhone.

Et ce n’est pas étonnant. Sriperumbudur, dans l’État du Tamil Nadu, est l’épicentre de l’expansion indienne de Foxconn, le sous-traitant taïwanais qui fabrique presque tous les iPhone. Jusqu’en 2019, 99 % des iPhone étaient fabriqués en Chine.

Objectif 26 % des iPhone d’ici 2025

L’Inde, grâce à un programme national de fabrication, grignote cette domination, alors que tant d’entreprises cherchent à produire ailleurs qu’en Chine. Environ 13 % des iPhone ont été assemblés en Inde l’an dernier (dont environ les trois quarts dans le Tamil Nadu). D’ici 2025, la production indienne devrait doubler.

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Le premier magasin Apple en Inde a ouvert ses portes au printemps 2023 à Bombay.

Mais dix ans après le début du programme « Make in India » promu par le premier ministre Narendra Modi, la part de l’industrie manufacturière dans l’économie stagne. À 16 %, elle est un peu moindre que lorsque Modi a été élu, en 2014, et bien moindre que celles de la Chine ou du Japon, de Taïwan et de la Corée du Sud quand ces tigres asiatiques ont pris leur essor.

L’Inde a désespérément besoin d’emplois qualifiés, et rien n’en crée autant que le travail en usine. En 2023, l’Inde a dépassé la Chine comme pays le plus peuplé du monde, et sa population en âge de travailler augmente. Mais pour tirer profit de cette croissance démographique, il faut rendre le travailleur indien plus productif. La moitié des Indiens vivent de petites fermes.

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En 2023, Tim Cook, PDG d’Apple, s’est présenté en Inde pour inaugurer les premiers magasins Apple du pays.

Le Tamil Nadu pourrait montrer la voie. Cet État de 72 millions d’habitants connaît aujourd’hui des succès inédits en Inde. Le gouvernement fédéral subventionne depuis 2021 la fabrication électronique dans tout le pays, ce qui a déclenché une ruée vers des endroits comme Noida, près de New Delhi.

Mais pour le Tamil Nadu, cet incitatif n’est pas essentiel, dit T. R. B. Rajaa, ministre de l’Industrie du Tamil Nadu, qui énumère les atouts de l’État : écoles, transports et diplômés en ingénierie.

On ne compare jamais notre croissance avec celle d’autres États indiens. On examine la croissance des pays scandinaves, et on vise à faire mieux.

T. R. B. Rajaa, ministre de l’Industrie du Tamil Nadu

Les responsables du Tamil Nadu sont fiers du capital humain que leur État a constitué, particulièrement celui de ses femmes. Nombre d’entre elles sont salariées, ce qui est rare dans d’autres États : 43 % des femmes indiennes travaillant en usine vivent au Tamil Nadu, qui abrite 5 % de la population nationale.

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T. R. B. Rajaa, ministre de l’Industrie de l’État du Tamil Nadu, a d’autres visées en plus des iPhone. Le Tamil Nadu fait la cour à de nombreux fabricants de produits moins chers faits en grande série.

Certaines parties du Tamil Nadu sont des pôles industriels. De nombreux fabricants de véhicules et de pièces automobiles sont établis entre la côte et sa capitale, Chennai. Dans la vallée de Coimbatore, des usines se spécialisent dans le moulage sous pression et la fabrication de pompes. Tiruppur abrite un pôle textile et Sivakasi est le plus grand fabricant d’allumettes du pays.

L’essor indien en fabrication de produits haut de gamme comme l’iPhone étonne. L’Inde n’a jamais été concurrentielle dans la fabrication de produits comme les t-shirts ou les chaussures, se faisant damer le pion par de petits pays jadis moins développés comme le Bangladesh et le Viêtnam.

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De nombreuses femmes travaillent dans l’État du Tamil Nadu, ce qui est rare dans d’autres États : 43 % des femmes indiennes travaillant en usine vivent au Tamil Nadu, qui abrite 5 % de la population nationale.

Ce n’est pas la première fois que l’Inde s’essaie à la fabrication de produits électroniques de grande valeur. Ce n’est pas non plus la première fois qu’on mise gros sur le Tamil Nadu. En 2006, le finlandais Nokia, alors un géant de la téléphonie mobile, a construit une grande usine dans le parc industriel de Sriperumbudur. Elle devait produire des millions de cellulaires par an, pour l’Inde et le reste du monde. L’iPhone et la crise financière de 2009 ont détruit ces rêves.

Sur les ruines de Nokia

Mais les atouts de l’État demeurent. Sriperumbudur avait déjà de l’expertise en construction automobile. Hyundai s’y est installé en 1996, peu après que l’Inde a ouvert son économie à l’investissement étranger et que le Tamil Nadu a créé une agence de développement. Les industries du verre et des produits électriques de base ont suivi.

Après un temps mort, l’ancien site de Nokia a été repris par Salcomp, une entreprise indienne qui fabrique des chargeurs électriques haut de gamme, notamment pour Apple. Les usines d’une douzaine d’autres fournisseurs connus et supposés d’Apple ont poussé autour du site. Samsung, Dell et d’autres grandes multinationales de l’électronique ont suivi.

Vendredi, jour de la République indienne, Young Liu, PDG de Foxconn, s’est rendu à New Delhi pour recevoir le Padma Bhushan, une distinction civile indienne. « Apportons notre contribution pour l’industrie manufacturière en Inde et pour l’amélioration de la société », a-t-il déclaré.

Un réseau de petites, moyennes et grandes entreprises contribue au succès du Tamil Nadu. L’une d’elles, Sancraft Industries à Sriperumbudur, a un chiffre d’affaires d’environ 5 millions de dollars et moule des pièces en plastique pour des sous-traitants qui alimentent l’usine d’iPhone.

Selon Amit Gupta, cofondateur de Sancraft, Nokia a « implanté l’écosystème ici » et ses ingénieurs finlandais ont inculqué les normes mondiales. L’expérience qu’il a acquise d’un de ses premiers clients, Schneider Electric, une entreprise française, lui a appris à s’adapter aux besoins des nouveaux arrivants de Corée du Sud, de Taïwan et de Chine.

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Amit Gupta, cofondateur de Sancraft, discute avec un employé de son usine de Sriperumbudur.

Le Tamil Nadu est un maillon de la chaîne d’approvisionnement mondiale et il a attiré des restaurants et des épiceries répondant aux goûts de l’Occident et de l’Asie. « C’est comme une mini-Chine ici », dit M. Gupta, qui a travaillé à Shenzhen il y a 15 ans.

En Inde et ailleurs, on se réjouit à l’idée que l’Inde supplante la Chine dans au moins une partie de la chaîne d’approvisionnement mondiale. En 2023, Tim Cook, PDG d’Apple, s’est présenté en Inde – les mains en namasté et une marque vermillon sur le front – pour inaugurer les premiers magasins Apple du pays.

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L’État du Tamil Nadu a attiré des restaurants et des épiceries répondant aux goûts de l’Occident et de l’Asie, comme ce restaurant coréen à Sriperumbudur.

Plus de 130 entreprises du Fortune 500 sont actives au Tamil Nadu.

M. Rajaa, le ministre de l’Industrie, a d’autres visées en plus des iPhone à 1000 $. Le Tamil Nadu fait la cour à de nombreux fabricants de produits moins chers faits en grande série. Si toute l’Inde emboîtait le pas au Tamil Nadu, le pays créerait peut-être assez d’emplois moins qualifiés pour occuper sa population jeune et croissante.

Au début de janvier, M. Rajaa a fait visiter à des investisseurs étrangers un nouveau pôle industriel axé sur les chaussures de sport : à Perambalur, à 220 km au sud de Sriperumbudur, des usines toutes neuves commencent à produire des Nike, des Adidas et des Crocs.

Cet article a été publié dans le New York Times.

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