Tous les vendredis, un décideur se dévoile dans notre section. Cette semaine, Valérie Pisano, PDG de Mila – Institut québécois d’intelligence artificielle, répond à nos questions.

Quelles sont votre meilleure et votre pire habitude ?

Ma meilleure habitude, c’est que je me réveille très tôt le matin, 5 h, 5 h 30, une bonne heure avant que les enfants se réveillent et que la journée commence. Puis, je prends un moment, 10-15 minutes, pour faire une petite pratique de méditation.

Ma pire habitude, je dirais, c’est que je prends sur moi des problèmes, des situations qui ne m’appartiennent pas. Des fois, ça devient lourd à porter, comme parent, comme dirigeant, comme citoyen. Ça crée un contexte qui n’est pas idéal pour les gens, ça ne leur permet pas de rester pleinement en relation avec ce problème-là.

Quel mot ne pouvez-vous plus supporter ?

C’est une expression. C’est « Attends juste... ». Comme dans « Attends juste une minute ! » ou « Attends juste que je finisse mon courriel ! ». Je trouve qu’avec la technologie, avec nos visages dans nos écrans, on est souvent en train de reporter le moment présent. « Attends juste... », c’est pour s’occuper d’une chose qui n’est pas devant toi dans le moment présent.

Quel livre avez-vous l’habitude de recommander ?

Si je devais en choisir un, 21 leçons pour le XXIsiècle, de Yuval Noah Harari. Il fait une réflexion à la fois provocante et juste sur l’émergence de l’intelligence artificielle dans un contexte où il y a un effritement du tissu social et géopolitique à l’échelle mondiale, pour ultimement poser la question : qu’est-ce que ça veut dire pour nous, individuellement et collectivement, d’être humain au XXIsiècle ?

Quel conseil êtes-vous heureuse d’avoir ignoré ?

Tôt dans ma carrière, je me suis fait conseiller par quelqu’un qui voulait mon bien, par ailleurs, de moduler le timbre de ma voix, de changer la façon dont je parle pour que ça sonne plus comme ce à quoi s’attendent les PDG d’entreprise à qui je parle.

Ce que, heureusement, je n’ai pas fait. Aujourd’hui, les gens ont souvent la générosité de me dire : « J’ai tellement aimé la façon dont tu as parlé, j’ai senti ta conviction, j’ai senti ta passion, j’ai senti ta préoccupation. »

Outre les courriels ou les textos, de quelle application ne pourriez-vous plus vous passer sur votre téléphone ?

L’application Microsoft To Do. C’est l’endroit où je peux déposer les différents blocs pour les sortir de ma tête. Je les dépose là-dedans, je les organise, puis après ça, chaque jour, je suis capable de dire : « OK, aujourd’hui, c’est ça qui a besoin de mon attention. »

Avez-vous un objet préféré sur votre bureau ?

[Elle sort une figurine de Ted Lasso, l’entraîneur attachant de la série du même nom.] Ted Lasso... Par où commencer ? Quelle extraordinaire manifestation d’un leadership de cœur. Un personnage ou un coach qui était capable à la fois de croire d’une façon extraordinairement riche dans le potentiel de chaque individu, et qui prenait complètement la responsabilité du rôle qui était le sien, capable de prendre des décisions difficiles quand son équipe en avait besoin. Des fois, je me prends la tête dans les mains et je me dis : « Que ferait Ted Lasso ? » [rires]

Quelle activité physique faites-vous ?

La course. Plus en fin de journée ou la fin de semaine, deux ou trois fois par semaine, sauf l’hiver. Mon ADN italien ne me permet pas d’être plus que 15 minutes à l’extérieur au Québec l’hiver.

Aussi, j’ai découvert une plateforme virtuelle pendant la pandémie qui s’appelle The Class, qui est un mélange de yoga et de CrossFit.

Que faites-vous pour féliciter ou remercier quelqu’un ?

J’essaie d’être très précise dans la parole ou le geste que je vais faire. C’est une chose de remercier de façon plus générique, mais c’en est une autre de remercier en rendant explicite ce que cette personne-là a fait, l’impact que ça a eu. On dit qu’un des plus beaux cadeaux qu’on peut faire aux autres, c’est de les voir vraiment pour ce qu’ils sont.

Un bon patron, c’est quelqu’un qui…

C’est quelqu’un qui va créer l’espace et le contexte pour que tu deviennes tout ce que tu peux devenir. Ce n’est certainement pas quelqu’un qui va te dire la bonne réponse, qui va te contrôler. C’est quelqu’un qui a une intuition de tout ce que tu es capable de devenir, puis qui va aider à créer les conditions pour que toi, après ça, tu saisisses cette occasion-là.

La retraite idéale ?

Je ne suis pas complètement désengagée de mon milieu de travail ou de ma vie professionnelle. Je suis encore engagée sur des sujets qui sont importants pour créer un monde meilleur. Aussi, il y a beaucoup plus de temps et d’espace pour la campagne, le fleuve, peut-être quelques acres de terrain quelque part, du temps avec mon conjoint, un temps qui a une texture différente avec ma famille et mes amis.

Et je réussis à dégager beaucoup de temps pour lire.

Pour des considérations de concision et de clarté, cette entrevue a été remaniée.

Qui est Valérie Pisano ?

Née à Saint-Lambert, sur la Rive-Sud, d’un père immigré d’Italie devenu entrepreneur dans le secteur manufacturier, et d’une mère née à Ville Saint-Michel qui a occupé un poste de direction chez Bell Canada.

Obtient en 2005 une maîtrise en gestion en économie appliquée à HEC Montréal.

Cofonde en 2014 le Projet de Mobïus sur les biais, visant à promouvoir le leadership au féminin, dont elle devient directrice générale.

Occupe de juillet 2016 à avril 2018 le poste de directrice des talents au Cirque du Soleil.

Nommée en mai 2018 présidente et chef de la direction de Mila – Institut québécois d’intelligence artificielle, fondé en 1993 par un des parrains de l’apprentissage profond, Yoshua Bengio, qui regroupe un millier de chercheurs et d’experts, ainsi que 120 entreprises partenaires.

Mère de trois filles âgées de 17, 14 et 12 ans. Son conjoint a également trois filles, âgées de 21, 13 et 11 ans.