Moi qui croyais qu’on devait mettre nos œufs dans le panier des travailleurs expérimentés. Que leur rétention sur le marché du travail permettrait de soulager grandement la pénurie de main-d’œuvre. Que les « vieux » sauveraient l’économie, ou presque.

J’ai déchanté en lisant l’étude fort éclairante sur la question de l’Institut du Québec (IDQ). Ses auteurs Emna Braham et Simon Savard estiment qu’il faut, certes, chérir ce bassin de main-d’œuvre, mais selon leurs calculs, le potentiel est somme toute restreint.

D’abord, expliquent-ils, il est illusoire de penser que les retraités seraient nombreux à revenir sur le marché du travail, même avec de généreuses mesures incitatives. Après avoir épluché les études sur le sujet, ils constatent que « le succès pour convaincre des personnes de retourner au travail est très limité ».

Ensuite, les démarches pour retenir les travailleurs d’expérience encore actifs n’auraient pas un impact aussi grand qu’on peut l’imaginer. Pourquoi ? Parce que d’ici 10 ans, ce bassin de travailleurs aura grandement diminué, avec le vieillissement des baby-boomers et l’arrivée d’une génération X moins nombreuse.

Actuellement, la proportion des travailleurs de 60 à 69 ans qui sont actifs sur le marché du travail est de 39,1 % au Québec, un niveau bien plus faible qu’ailleurs dans le monde. En supposant qu’on rejoigne le taux d’activité de l’Ontario d’ici 10 ans (46,3 %), ce qui est réaliste, seulement 37 000 personnes s’ajouteraient sur le marché du travail au Québec.

Ce volume n’est pas négligeable, loin de là, mais il faut savoir qu’il manque 255 000 personnes pour pourvoir les postes vacants actuellement au Québec, dont environ 100 000 avec un diplôme postsecondaire.

L’emballement sur les travailleurs expérimentés tient au fait, entre autres, que cet écart avec l’Ontario, s’il était comblé instantanément aujourd’hui, ajouterait 86 000 travailleurs. Mais ce volume reculerait à 37 000 d’ici 10 ans, avec le départ des boomers.

En campagne électorale, trois des cinq partis – mais pas la CAQ – promettaient de réduire davantage les impôts des travailleurs expérimentés pour les inciter à rester sur le marché du travail et combler ainsi une partie de la pénurie.

Selon l’IDQ, les mesures financières, bien que louables, finissent par être coûteuses lorsque ramenées par employé retenu. La raison ? Des fonds sont versés même à ceux qui seraient restés au travail de toute façon.

Le crédit d’impôt pour la prolongation de carrière, d’un maximum de 1650 $ pour les 65 ans et plus, est réduit progressivement à partir de 35 650 $ de revenus et s’éteint complètement à 68 650 $. Le crédit entre 60 et 64 ans est de 1500 $ et suit le même type de régression.

« Si elles permettent d’augmenter le bassin de travailleurs disponibles, les mesures [actuelles] ne constituent pas le meilleur outil pour retenir les travailleurs les plus qualifiés », fait valoir l’IDQ, notamment parce que leurs revenus les rendent inadmissibles au crédit.

Selon l’IDQ, le redressement du taux d’activité des travailleurs expérimentés, bien qu’essentiel, n’est qu’un des leviers pour assouvir le marché du travail. L’automatisation, la réorganisation du travail, notamment dans le secteur public, la hausse de la productivité et l’immigration sont d’autres éléments du casse-tête.

« Ce n’est pas seulement une question de nombre, mais aussi d’utilisation judicieuse des compétences de ceux qui restent et de transfert de compétences », explique Emna Braham, directrice générale de l’Institut du Québec.

Autre élément : avant d’attirer des investissements au Québec, il faut réfléchir à la rareté de main-d’œuvre, selon les secteurs. Un informaticien embauché par une nouvelle entreprise étrangère est un informaticien de moins pour le secteur public et les entreprises existantes.

Quoi qu’il en soit, certaines mesures peuvent être plus efficaces que d’autres pour retenir les employés d’expérience. Et pas toujours les plus spectaculaires.

D’abord, il faut aux travailleurs expérimentés un meilleur soutien pour concilier travail et famille. À cet âge, plusieurs sont des proches aidants – surtout les femmes – devant s’occuper de leurs parents vieillissants, dont le nombre explosera au cours des prochaines années. Un système de santé mieux adapté favoriserait le maintien au travail des « enfants » de 55 ans et plus.

D’autre part, les travailleurs d’expérience ont besoin de formation pour rester à jour avec les nouveautés, notamment technologiques. Le gouvernement pourrait augmenter les mesures incitatives pour la formation en entreprise des 50 ans et plus. La formation autonome pourrait aussi être encouragée.

Faire disparaître l’âgisme

Autre élément : des conditions de travail adaptées aideraient, combinant une semaine plus courte, des vacances plus longues et des congés flexibles. Le secteur public, notamment, devrait réfléchir à cet enjeu dans le renouvellement des conventions collectives.

Enfin, l’étude aborde aussi la question de l’âgisme, cette discrimination basée sur l’âge que les employeurs – et les autres employés – auraient intérêt à faire disparaître.

En somme, miser sur les travailleurs d’expérience est l’une des solutions, mais n’est pas LA panacée. Et les gouvernements devraient dès maintenant cibler les travailleurs de 40 à 49 ans avec leurs démarches, soit avant que leur décision de retraite n’ait été prise.

Bien du travail en perspective…

Consultez le rapport de l’Institut du Québec