Deux éléments m’ont frappé dans l’énoncé économique de Chrystia Freeland, deux luttes qui sont fondamentales.

D’abord, l’énoncé prévoit que la lutte contre l’inflation durera un an de plus que prévu. Ensuite, Chrystia Freeland cite un discours de Wilfrid Laurier, vieux de 120 ans, pour illustrer le combat de notre époque, soit la décarbonation de l’économie.

En avril dernier, le budget fédéral prévoyait que l’inflation ne serait que passagère, que le Canada retomberait dès 2023 dans la fourchette souhaitée par la Banque du Canada, soit un taux oscillant entre 1 et 3 %.

Six mois plus tard, on est loin du compte. L’énoncé économique de Mme Freeland prévoit maintenant que l’Indice des prix à la consommation (IPC) aura finalement grimpé de 6,8 % cette année avant de reculer à 3,5 % l’an prochain, en 2023.

Ce n’est donc qu’en 2024 que l’inflation retomberait dans la fourchette de la banque centrale, plus précisément à 2,1 % selon l’énoncé, qui est conforme aux prévisions du secteur privé.

Espérons que ce scénario, aussi prévu par la Banque du Canada, se réalise. Car sinon, les ménages devront attendre plus longtemps avant que les taux d’intérêt ne se dégonflent, et que les versements pour les prêts hypothécaires et les marges de crédit suivent la même tendance.

Et Wilfrid Laurier dans tout ça, qui fut premier ministre du Canada de 1896 à 1911 ? J’y arrive, attendez.

Avec la baisse de l’inflation, l’énoncé économique avance que les taux d’intérêt des bons du Trésor du gouvernement – une des références clés pour le court terme – déclineront de 0,8 point de pourcentage en 2023 et de 0,5 point en 2024(1). Ce serait un grand soulagement.

Est-ce réaliste ? Peut-être. Et alors, la traversée du désert aura été plutôt courte, somme toute. Mais Chrystia Freeland et ses économistes du ministère des Finances, échaudés par l’imprévisibilité de l’économie, ont ajouté un scénario pessimiste à leurs prévisions, cette année.

Selon ce scénario sombre, le taux d’inflation résisterait aux assauts de la Banque du Canada, en conservant une moyenne de 5,3 % en 2023, plutôt que 3,5 %. Ce scénario teinterait toutes les projections futures de déficits. Ouch !

Ce déficit, justement ? Grâce à la croissance économique et à l’inflation, qui ont gonflé les recettes de l’État, il s’alignait vers seulement 23 milliards cette année (2022-2023)… avant qu’Ottawa ne décide de dépenser davantage.

Tout compte fait, et en ajoutant les nouvelles mesures pour aider les moins nantis à payer leur épicerie dopée par les prix, entre autres, le déficit atteindra 36,4 milliards cette année (ou 49,1 milliards avec le scénario pessimiste).

Ça reste beaucoup, mais on prévoyait 52,9 milliards dans le budget d’avril dernier. Et qui se souvient des 328 milliards de 2020-2021 ?

Fait à souligner, les frais de la dette publique passeront de 24,5 milliards l’an dernier (2020-2021) à 43-44 milliards par année au cours des prochaines années. Nos déficits pandémiques, conjugués à la hausse des taux d’intérêt, nous coûteront donc environ 20 milliards par année, ce qui est non négligeable.

Et Wilfrid Laurier dans tout ça ? Eh bien voilà. Dans son discours, Chrystia Freeland évoque les propos tenus par l’ex-premier ministre canadien en 1903 au sujet du chemin de fer transcontinental, qui relierait éventuellement le Canada d’est en ouest.

« Nous ne pouvons pas attendre, parce que le temps, lui, n’attend pas ; nous ne pouvons pas attendre parce qu’en ces jours de développement merveilleux, le temps perdu est doublement perdu », avait alors dit Wilfrid Laurier.

« Nous ne pouvons pas attendre, parce que les conditions de notre vie nationale se transforment en ce moment. Il serait fou de l’ignorer et criminel de le négliger. »

Criminel de le négliger ? Chrystia Freeland fait le parallèle entre le développement du chemin de fer et la transition vers la carboneutralité, qui « exige une transformation industrielle d’une ampleur comparable à celle de la Révolution industrielle elle-même », dit la ministre.

À ce sujet, le gouvernement choisit de doter le Canada d’un « Fonds de croissance » de 15 milliards de dollars, dont les détails ont été divulgués dans l’énoncé économique.

Ce fonds, jugé stratégique, appuiera les entreprises dans le déploiement des technologies nécessaires à la décarbonation. Il cherche à atténuer les risques qui limitent l’injection de capital privé.

Il vient en réponse aux nombreux autres fonds semblables dans le monde, notamment aux États-Unis, et dont le but est de sécuriser les approvisionnements énergétiques et de lutter contre les changements climatiques, notamment.

Aux États-Unis, ce fonds incorrectement baptisé Inflation Reduction Act (IRA) est doté d’une somme de 369 milliards US, auquel s’ajoute un programme de garantie de prêt de 390 milliards.

Outre-Atlantique, l’Union européenne injecte l’équivalent de 26 milliards US, les Pays-Bas, 13 milliards et l’Australie, 6 milliards.

Selon l’énoncé, le Fonds de croissance est une réponse aux autres fonds mondiaux, notamment celui des États-Unis, pour permettre au Canada de demeurer concurrentiel.

Bien possible qu’un tel fonds déplaise aux conservateurs, qui militent pour stopper les nouvelles dépenses. Bien possible qu’il ne constitue pas la solution optimale pour décarboner l’économie, qu’il soit insuffisant, pris isolément.

Mais chose certaine, à moins d’être climatosceptique endurci, nos conditions de vie ne cesseront de se transformer et « il serait fou de l’ignorer et criminel de le négliger ».

1. L’énoncé prévoit un taux de 2,2 % en 2022, de 3,6 % en 2023, de 2,8 % en 2024, puis de 2,3 % en 2025.