J’ai la manie de conserver bien trop longtemps des factures qui n’ont aucune utilité, du moins en apparence, vous comprendrez vite pourquoi.

Ces bouts de papier peuvent dormir au fond de mon sac à main pendant des mois en attendant une séance de nettoyage. C’est ainsi que par un jour de grand triage, c’était 2010, je suis tombée sur une vieille facture de Pharmaprix.

Mon regard s’est posé sur le tableau, au verso, qui indique la valeur des points de récompense du programme de fidélisation Optimum. J’ai alors constaté que la valeur des points avait changé. Elle avait diminué, pour être précise.

Pharmaprix n’avait prévenu personne. Ma découverte s’est donc retrouvée dans le journal. Option consommateurs a ensuite intenté une action collective et en 2017, une entente a été conclue entre les parties. Des milliers de Québécois ont reçu une compensation sous forme de points.

J’ai repensé à cette anecdote sur la valeur des points à trois reprises dans les derniers jours : quand Air Miles s’est placé à l’abri de ses créanciers, en recevant un courriel de mise à jour du programme Scène+ et en voulant acheter un billet d’avion avec mes Aéroplans.

Il faut se rendre à l’évidence, la valeur des points n’augmente jamais.

Or, on a souvent tendance à joueur aux écureuils amasseurs avec nos points et à imiter les cigales hédonistes avec notre argent. « Il faut faire le contraire ! », m’a écrit Jérôme, un lecteur, en comparant les sociétés émettrices de récompenses à « de très mauvaises banques centrales » qui dévaluent constamment leur « devise ». De fait, mieux vaut s’empresser de dépenser ses points.

« C’est quelque chose que je répète depuis des années, c’est une de mes phrases clés : les points ne sont pas des REER, utilisez-les ! », lance Jean-Maximilien Voisine, président fondateur de Milesopedia.com, un site spécialisé dans les programmes de récompenses. À son avis, c’est même « mathématiquement impossible » qu’un programme annonce une bonification de la valeur de ses points, compte tenu des impératifs de profitabilité, des acquisitions et des fusions qui surviennent.

D’ailleurs, au moment même où Scène+ fait son entrée chez IGA, on apprend que les points perdront de la valeur le 19 juin.

La modification concerne les résidants du Québec détenteurs d’une carte au 13 décembre 2021. L’objectif, dit-on, est d’« harmoniser les taux d’échange pour l’ensemble des membres Scène+ partout au Canada ».

La dépréciation n’est pas généralisée, mais elle s’applique à deux usages populaires : le crédit au compte et l’achat de marchandises dans les catalogues d’Apple et de Best Buy.

Pour obtenir un crédit de 300 $ sur sa carte de la Banque Scotia (débit ou crédit), par exemple, 43 000 points seront requis, plutôt que 37 500 actuellement. Pour l’achat d’un iPad ou d’une console de jeux vidéo, 145 points équivaudront à 1 $, plutôt que 127. Une différence de 12 %.

De son côté, la Banque de Montréal assure que sa « convention d’achat » d’Air Miles ne change rien pour les détenteurs de la carte bleue. Mais cela ne constitue pas une promesse à long terme. L’institution financière voudra-t-elle fusionner son programme BMO Récompenses avec Air Miles pour simplifier ses affaires ? Le cas échéant, le risque de dévaluation n’est pas nul.

Ça s’est vu avec Marriott Bonvoy, le plus important programme de fidélisation au monde dans le secteur de l’hôtellerie. Après l’achat de la chaîne Starwood, on est passé d’une grille d’échange fonctionnant avec un nombre de points fixes, en fonction de la catégorie d’hôtel, à une tarification dynamique basée sur l’offre et la demande. Résultat, le nombre de points requis pour une nuitée gratuite a généralement bondi.

La même chose s’est produite avec Aéroplan. Trois ans après une dévaluation pure et simple des points, notamment pour les voyages en première classe (en 2015), le programme est passé à la tarification dynamique pour les vols avec Air Canada. La flexibilité du programme s’est nettement améliorée, en donnant accès à tous les sièges, mais cela est coûteux.

Il n’y a pas si longtemps, on se rendait en Californie avec 50 000 points Aéroplan. Pour faire le trajet en mai, avec une valise, il en faudrait plutôt 77 000, environ 71 000 à la mi-juillet et 68 000 en octobre prochain, selon une recherche effectuée ces derniers jours.

L’idéal est de planifier une stratégie d’utilisation de ses points sur un an ou deux, maximum trois. C’est une erreur de vouloir attendre d’en avoir assez pour obtenir un voyage entièrement gratuit, insiste Jean-Maximilien Voisine.

Il est plus judicieux de réduire sa facture en échangeant des points contre des nuitées à l’hôtel, une location de voiture ou un seul trajet en avion. Outre la dévaluation, il arrive aussi que des programmes changent leurs conditions ou partenaires d’échange. Et dans certains cas, les points arrivent à échéance.

Le même raisonnement s’applique aux cartes-cadeaux. Plus que jamais, à cause de l’inflation, vaut mieux vite les dépenser puisqu’elles perdent constamment de leur pouvoir d’achat. Leur valeur peut même tomber à zéro d’un coup lors d’une faillite.

Pour une fois, les cigales ont raison.