C’est Pierre Fitzgibbon, lors d’une mêlée de presse le 8 février, qui a suggéré à La Presse de rencontrer Ivan Vella « pour avoir la vraie information ».

Et pour mieux comprendre la « révolution » Elysis, cette technologie développée au Québec qui permettra, espérons-le, de décarboner totalement la nouvelle production d’aluminium, éventuellement.

L’entrevue avec le PDG de Rio Tinto Aluminium a finalement eu lieu mercredi, dans nos bureaux. L’homme originaire d’Australie, installé à Montréal depuis l’automne 2021, a répondu volontiers à toutes nos questions, en anglais, pendant plus d’une heure et demie.

Le secteur de l’aluminium est dans la tourmente depuis quelques mois dans le contexte de la rareté énergétique qui se profile au Québec et des avantages considérables conférés à cette industrie, notamment pour l’électricité.

Rio Tinto ne paie pas d’impôt au Québec depuis longtemps et ne verse pas encore de droits pour émettre ses gaz à effet de serre (GES). Elle produit aussi 90 % de son énergie grâce à deux rivières que le Québec lui a cédées et pour les 10 % restants, elle paie à Hydro-Québec un tarif qui s’est avéré 35 % plus bas que celui payé par les autres grands industriels depuis cinq ans.

Pendant l’entrevue, le président a rappelé que l’industrie nord-américaine de l’aluminium avait traversé une période très difficile depuis 20 ans, la production passant de 5,7 millions à 3,7 millions de tonnes entre 1999 et aujourd’hui.

Ivan Vella a répété les habituels arguments des bons emplois payants de Rio Tinto au Québec (5000) et des retombées intéressantes. Il a également affirmé qu’Hydro-Québec faisait une bonne affaire en vendant son énergie à son entreprise, puisque le coût de revient pour Hydro n’est pas comparable aux autres industries, entre autres, Rio Tinto fournissant elle-même des équipements de réception de l’énergie sur le site de production.

Et pour ce qui est de payer des impôts au gouvernement du Québec, « ça viendra », dit Ivan Vella.

Le gestionnaire explique que les énormes coûts de financement et pertes engendrées par l’acquisition d’Alcan, en 2007, ont servi à réduire les profits des années subséquentes, mais qu’ils sont sur le point de s’éteindre, ce qui se traduira par des impôts à payer.

« Nous voulons être une entreprise profitable et payer des impôts. Une entreprise qui paie des impôts est une entreprise à succès. Si nous ne contribuons pas à payer notre part, ce n’est pas soutenable », dit le gestionnaire, donnant l’exemple de l’Australie.

En 2022, l’Australie a empoché l’équivalent de 8,5 milliards US d’impôts – surtout pour la production de fer – contre 718 millions au Canada, selon le « Taxes Paid Report » de l’entreprise.

Ivan Vella a aussi servi le noble argument de la mission environnementale du Québec, ce qui m’a fait tiquer. C’est que l’aluminium produit ici émet cinq fois moins de GES qu’ailleurs dans le monde, grâce à notre hydroélectricité verte, dit-il.

« Si nous ne produisons pas d’aluminium ici au Québec, avec de bons emplois, ce que nous faisons, c’est que nous exportons des emplois et importons des GES », a-t-il dit.

Dit autrement, le Québec doit accepter d’accorder des avantages aux alumineries pour le bien-être de la planète, en quelque sorte…

L’argument, bancal, pourrait me convaincre si la planète était réellement disposée à payer davantage pour l’aluminium vert, ce dont je doute fort. Quand deux produits de concurrents s’affrontent, le gagnant est presque toujours celui qui est vendu le moins cher, à qualité égale.

Cette prime verte, aussi évoquée par le ministre Pierre Fitzgibbon, favorisera le Québec lorsque la planète aura vraiment implanté un prix croissant sur les GES – et donc sur l’aluminium noir – et imposé des droits de douane musclés sur les produits fabriqués avec de l’énergie sale, ce qui n’est pas encore le cas.

L’entrevue nous aura aussi permis de clarifier un élément important : Rio Tinto Aluminium n’est pas près de réduire significativement ses GES au Québec. D’abord, la technologie Elysis ne sera pas largement implantée avant 2030, selon les projections de l’entreprise.

Surtout, les cuves d’aluminium avec Elysis ne viendront pas remplacer les anciennes, la technologie servira plutôt à alimenter la croissance future de l’entreprise, essentiellement, si bien que les alumineries actuelles continueront de produire et d’émettre des tonnes de GES pendant de très nombreuses années encore.

Ce n’est pas un détail. L’industrie de l’aluminium émet 5,4 millions de tonnes par année au Québec, l’équivalent de 7 % de tous les GES que nous émettons. Les environnementalistes devront être patients.

Ivan Vella dit être transparent avec le gouvernement dans ses discussions pour un tarif électrique et des avantages fiscaux, discussions qu’il qualifie de bonnes. « Le gouvernement est très favorable [supportive] à l’industrie. Ils sont sensibles à trouver cet équilibre. Exactement le genre de questions que vous posez. Ils sont très au courant de ces chiffres, très conscients », dit-il.

Et ces chiffres, ils sont costauds. Certes, l’aluminium coûte moins cher à produire ici, avec les vieilles alumineries amorties et les bons tarifs d’électricité, mais la construction d’une nouvelle aluminerie coûterait jusqu’à quatre fois plus cher qu’en Chine, soutient-il.

La partie n’est pas encore jouée. Ivan Vella renégociera le bloc d’énergie vendu par Hydro-Québec pour la vieille aluminerie d’Arvida (350 MW), dont les termes – les plus avantageux de l’industrie – se terminent en 2025. Actuellement, l’entreprise implante sur le site de nouvelles cuves avec la technologie AP60, la plus récente disponible.

Qu’arrivera-t-il ? Mes antennes me disent que le gouvernement pourrait consentir de meilleurs tarifs pour des installations qui utiliseraient la technologie Elysis. Ces tarifs varieraient encore davantage avec le prix de l’aluminium que les autres tarifs des alumineries, plutôt qu’avec les coûts d’Hydro-Québec.

De grâce, aiguisez bien vos crayons, Monsieur Fitzgibbon, la mission planétaire du Québec ne sera pas suffisante pour nous convaincre.