Connaissez-vous beaucoup d’organisations qui confient les tâches les plus complexes et les plus névralgiques aux employés les moins expérimentés ?

C’est pourtant ce que fait notre système d’éducation, en laissant souvent aux jeunes enseignants les niveaux les moins intéressants dans les écoles les moins favorisées, vu l’application du principe d’ancienneté dans le choix des postes.

Et chaque année, ces jeunes enseignants risquent de tout recommencer dans une autre école, puisqu’ils peuvent être « bumpés » par un plus ancien, quelques jours avant la rentrée, lors d’une séance de mutation.

N’est-ce pas dramatique, sachant que le Québec a pour objectif de diminuer le décrochage, plus fréquent dans les écoles défavorisées ? Et sachant également qu’une proportion importante de jeunes enseignants quittent la profession — alors qu’on est en pénurie — car ils sont trop souvent laissés à eux-mêmes face à de tels défis ?

Cette problématique est l’un des enjeux des négociations qui débutent pour le renouvellement des conventions collectives en éducation. Comme en santé, le gouvernement caquiste cherche des accommodements pour briser le cercle vicieux de l’ancienneté sur la rétention des jeunes.

Le cahier de propositions patronales déposé le 27 mars est clair. Le gouvernement veut « modifier les modalités entourant l’application de l’ancienneté afin de favoriser la rétention des enseignants en début de carrière ». Il souhaite aussi « limiter les mouvements de personnel enseignant d’une année à l’autre et en cours d’année ».

Autre objectif de cette proposition : « Améliorer la stabilité des équipes-écoles, la continuité et la qualité des services éducatifs […] ainsi que la réussite des élèves », est-il écrit dans le document⁠1.

Tout un chantier ! Qui décidera des changements et comment se feront-ils ? La réponse n’est pas précise et émanera des négociations avec les syndicats. Il reste que le gouvernement souhaite « offrir aux organismes scolaires la souplesse nécessaire dans l’application de la procédure d’affectation et de mutation », bref, il veut que l’employeur ait son mot à dire sur les jeunes qu’il pourrait préserver d’une mutation.

72 façons d’être « bumpés »

La tâche ne sera pas facile. Pourquoi ? Parce que les procédures d’affectations et de mutations sont distinctes dans chacun des 72 centres de services scolaires, en vertu de leur convention collective locale.

Dans certains cas, tous les postes d’enseignant sont en jeu chaque année, pas seulement les postes libérés. C’est le cas au centre de services scolaire du Lac-Saint-Jean, qui compte 24 écoles primaires et secondaires et plus de 850 enseignants.

Or, conclure une entente localement n’est pas indispensable à une entente nationale, selon la Loi sur les régimes de négociations des conventions collectives, qui date de 1985. Les camps patronal et syndical peuvent s’entendre au national sans que jamais rien ne change localement, notamment concernant les affectations de postes. L’entente locale peut rester figée indéfiniment.

Comment les parties pourraient-elles résoudre ce problème ? Ce n’est pas simple. Non seulement les ententes sont locales, mais l’ancienneté est aussi un principe sacré.

La vieille loi de 1985 sur les négociations pourrait être changée, mais il y a d’autres options. En 2010, le gouvernement et la Fédération des infirmières du Québec (FIQ) avaient résolu certains problèmes en négociant une lettre d’entente qui fixait des paramètres aux conventions collectives locales.

Comment favoriser les jeunes sans déplaire aux plus anciens ? Devrait-on prévoir une proportion minimale de jeunes enseignants dans des écoles aux profils socioéconomiques plus favorables ?

Faut-il accorder aux directions d’école le pouvoir de protéger certains postes occupés par des jeunes ? Devrait-on dispenser certains enseignants, jeunes ou vieux, des surveillances de récréation, de corridor et autres dans les écoles plus lourdes ?

La lourdeur des classes « régulières »

Les syndicats ne voient pas les choses du même œil. Pour eux, c’est la composition des classes dites « régulières » qui fait fuir les jeunes enseignants et non l’attribution de postes dans des écoles plus difficiles.

« Il y a un grand mythe là-dedans. Dans les classes régulières, il n’y a pas plus de jeunes enseignants que de gens d’expérience qui ont de meilleures ou de moins bonnes tâches », me dit Josée Scalabrini, présidente de la Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE).

Elle rappelle que les classes dites régulières ont une proportion de plus en plus grande d’élèves avec des plans d’intervention. Cette hausse s’explique par l’augmentation des élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage (EHDAA) et par l’attrait qu’exercent les écoles privées et les projets particuliers des écoles publiques, qui sélectionnent leurs élèves.

Selon Josée Scalabrini, il faudrait redresser les pondérations attribuées aux élèves EHDAA (par exemple l’équivalent de 1,5 élève pour certains), ce qui aurait pour effet de réduire le nombre d’élèves pour certaines classes et ainsi d’alléger la tâche des enseignants.

Elle estime que les ressources de soutien aux élèves, quoiqu’en forte hausse ces dernières années, ne sont pas encore suffisantes. Elle juge aussi qu’il faut regrouper dans les mêmes classes des élèves aux types de difficultés semblables plutôt que de multiplier les types de difficultés dans une même classe.

Chose certaine, le réseau fait face à une pénurie de personnel, à l’image du marché du travail. Le Journal de Montréal fait état de 2600 postes vacants dans les centres de services scolaires, dont 930 enseignants à temps plein ou partiel.

Cela dit, le gouvernement a aussi dans ses propositions des mesures de rétention pour les enseignants d’expérience.

Entre autres, Québec propose de hausser la paie nette des enseignants qui ont atteint l’âge de la retraite, mais qui poursuivent à temps plein, en réduisant de 50 % leur cotisation au régime de retraite.

Cette hausse équivaut à environ 3600 $ pour un salaire de 90 000 $.

De plus, ces employés d’expérience verraient leur rente de retraite bonifiée de 2 %, à vie, pour chaque année de plus restée à temps complet. La proposition vaut pour l’ensemble des employés de l’État, pas seulement les enseignants.

Oh, j’oubliais, le gouvernement Legault offre de hausser les salaires de 9 % sur 5 ans (pour tous ses employés, pas seulement les enseignants), notamment. De son côté, le front commun syndical demande l’équivalent de 16,7 % sur 3 ans⁠2.

Les positions sont aux antipodes, visiblement. Il reste à voir si les parties trouveront un terrain d’entente qui servira les élèves en premier lieu, ce qui est loin d’être acquis.

Dans une version précédente de ce texte, il était écrit que le système d’ancienneté laisse aux jeunes enseignants les groupes les plus difficiles dans les écoles les moins favorisés, vu l’application du principe d’ancienneté dans le choix des postes. Il aurait fallu écrire les niveaux les moins intéressants dans les écoles les moins favorisées, tel que modifié.

1. Consultez les propositions du gouvernement du Québec

2. Le front commun demande des hausses salariales selon l’indice des prix à la consommation (IPC), auquel il demande d’ajouter de 2 à 4 points de pourcentage, selon les années. En me basant sur les prévisions du budget du Québec, j’obtiens 16,7 % sur 3 ans.

Consultez les revendications du front commun