L’agence Statistique Canada produit des renseignements chiffrés d’une grande qualité, qui permettent de cerner avec précision les contours de la société canadienne. Me vient en tête l’image d’une loupe, qui grossit les attributs des Canadiens avec clarté.

Malheureusement, Statistique Canada apparaît moins transparente lorsqu’il est question de la gestion de ses finances et de son personnel. J’ai eu vent d’enjeux budgétaires particuliers au sein de l’agence, mais on a répondu à mes questions par courriel de façon large, sans trop de précisions.

Remarquez que c’est le lot de nombre de services de relations publiques des organisations aujourd’hui, et encore davantage au fédéral. Il est souvent difficile, voire impossible de parler à un être humain, les questions doivent être transmises par courriel, ce qui rend fastidieuses les demandes de précisions et les sous-questions.

Problèmes d’infonuagique

Bref, Statistique Canada a connu des dépassements budgétaires non négligeables au cours de la dernière année, en plus de freiner l’embauche d’étudiants et de mettre fin au travail de contractuels, me disent des sources qui ne peuvent parler publiquement.

Le principal problème concerne la migration des serveurs vers l’infonuagique (le cloud en anglais). Le processus vers l’infonuagique s’est avéré bien plus coûteux que prévu, me dit-on. Des employés de Statistique Canada ont été informés l’automne dernier, et la pression budgétaire s’est accentuée avec l’arrivée de la fin d’année budgétaire, qui s’est terminée le 31 mars 2023.

Au cours du dernier exercice financier, Statistique Canada a dépensé 619 millions, alors que le budget prévu en début d’année était de 577 millions, est-il indiqué dans le récent budget des dépenses du gouvernement fédéral.

Impossible de bien comprendre d’où vient cet écart de 42 millions dans les documents budgétaires, mais chose certaine, le budget de Statistique Canada recule à 532 millions cette année (2023-2024).

J’ai informé Statistique Canada de ma connaissance de dépassements budgétaires, et posé des questions sur les impacts de ces dépassements sur les activités de l’organisation. De combien est ce dépassement ? Et quel est le budget affecté à l’infonuagique ?

L’agence ne répond pas à ces questions, m’indiquant plutôt simplement que « des ressources supplémentaires ont été consacrées à la migration vers l’infonuagique ». Elle ajoute qu’elle a fait « des efforts de rationalisation et d’optimisation », termes bureaucratiques qui signifient généralement des compressions.

« Nous mettons maintenant en pratique les leçons apprises afin d’assurer une gestion efficace de nos opérations au sein de cette nouvelle infrastructure », m’écrit encore l’agence.

Y a-t-il d’autres raisons qui expliquent les problèmes financiers ? Pas de réponse.

Pouvez-vous m’expliquer l’ampleur des 42 millions d’écarts de l’année 2022-2023 et le recul budgétaire de l’année 2023-2024 ? Pas de réponse, si ce n’est qu’elle dit avoir « toujours respecté ses allocations budgétaires et continue de se montrer responsable sur le plan financier ».

Est-ce exact de dire que Statistique Canada a mis un frein à l’embauche d’étudiants et de contractuels dans ce contexte ? L’agence ne répond pas vraiment à cette question, et il faut déduire que ce ne serait pas le cas.

L’agence m’explique qu’elle ajuste sa main-d’œuvre en fonction de ses cycles de production. Elle dit avoir produit davantage d’enquêtes statistiques au cours des trois dernières années en raison du recensement de 2021 et de la pandémie. Ces enquêtes plus nombreuses avaient été réalisées pour le compte d’autres ministères fédéraux, notamment, qui ont depuis réduit leurs mandats.

« Nous rééquilibrons nos effectifs en ce moment afin de les harmoniser avec notre charge de travail actuelle et les ressources disponibles », m’explique l’agence par l’entremise de Carter Mann, qui porte le titre de « gestionnaire des relations médias stratégiques, division des relations avec les intervenants et de la mobilisation ».

L’agence a-t-elle réduit ou réduira-t-elle le nombre de ses publications ? Sa réponse laisse entendre que non.

« Statistique Canada continue de produire un nombre accru de données, de documents analytiques, de carrefours, de portails et de ressources […]. Nous révisons régulièrement la nature et l’étendue de nos produits et y apportons des modifications afin que nous puissions continuer à demeurer pertinents. »

Au 1er avril 2023, Statistique Canada comptait 5940 employés permanents, en plus de 562 employés contractuels, occasionnels ou autres, embauchés pour une période déterminée. Ces employés non permanents se chiffraient à 922 l’an dernier, il y a donc eu un recul de 360, selon les données fournies en fin de journée mardi par Carter Mann.

Ces données n’incluent pas les « entrepreneurs », m’écrit M. Mann, terme qui semble désigner les pigistes ou les consultants.

Syndicat sous tutelle

Au Syndicat des employées et employés nationaux (SEN), qui représente 23 000 employés dont les syndiqués de Statistique Canada, on m’informe qu’il n’y a pas de compressions actuellement de postes syndiqués, que seuls des contractuels ont été remerciés.

L’information n’a pas été simple à obtenir, car le SEN a été mis sous tutelle par le conseil d’administration de l’Alliance de la fonction publique du Canada (AFPC). La mise sous tutelle a eu lieu à la fin d’octobre dernier pour des motifs liés à la gouvernance au sein de la direction nationale du SEN, qui compte une quinzaine de personnes.

Il ne s’agirait ni d’une fraude, ni de problèmes financiers, ni de conflit d’intérêts, me dit Aurélie McDonald, de l’AFPC, qui ne veut pas m’en dire plus. La tutelle devrait être levée pour le congrès du mois d’août.

Pas toujours facile d’avoir l’heure juste, comme vous voyez. Peut-être que tout va désormais très bien à Statistique Canada, mais bon, les réponses parfois évasives de l’agence et ses absences de réponses me laissent songeur…