Nous ne sommes pas sortis de l’auberge, les amis. Auscultez bien vos budgets, car l’inflation restera trop élevée pendant encore… deux ans.

La Banque du Canada ne le dit pas ainsi, mais c’est ce qu’elle explique, essentiellement, dans son rapport trimestriel, publié en même temps que la hausse de son taux directeur de 0,25 point, à 5 %.

La Banque se garde bien de dire si elle augmentera encore son taux au cours des prochains mois. Toutefois, son conseil de direction « reste préoccupé par le risque que la progression vers la cible d’inflation de 2 % puisse stagner, ce qui viendrait compromettre le rétablissement de la stabilité des prix »… et donc l’éventuelle baisse de taux d’intérêt.

L’inflation est-elle stagnante, vraiment ? Le taux d’inflation n’est-il pas passé d’un sommet de 8,1 % en juin 2022 à 3,4 % en mai 2023 ?

Effectivement, sauf que cette forte baisse s’explique par le fait que les augmentations massives de prix du printemps 2022 ne sont maintenant plus reflétées dans le calcul du taux d’inflation sur un an. La comparaison devient plus avantageuse.

Autres raisons : la chute des prix de l’essence et la résorption progressive des problèmes d’approvisionnement mondiaux.

Quand la Banque évoque la stagnation, elle parle de l’inflation fondamentale, qui fait du surplace depuis 8 mois autour de 3,5 %-4 %, loin de la cible de 2 %. L’inflation fondamentale exclut les biens et services aux variations extrêmes, à la hausse comme à la baisse.

Cette inflation est d’environ un point de pourcentage de plus que prévu par la Banque en janvier dernier. L’un des responsables : le prix des services, donc les hausses de salaire.

Le Canada n’est pas le seul dans le bateau. Aux États-Unis, l’inflation de base avoisine les 5 %, un niveau qui demeure élevé même si le taux d’inflation global a reculé à 3 % en juin.

Bref, la cible de 2 % ne sera pas atteinte à la fin 2024 ou au début de 2025, comme le prévoyait la Banque du Canada, mais deux trimestres plus tard, soit au milieu de 2025… dans deux ans.

Immigration et logement

Normalement, en haussant progressivement le taux directeur depuis 18 mois – et donc la chaîne de taux d’intérêt – la Banque se serait attendue à une modération plus marquée de la consommation des ménages, et donc de l’inflation. Or, ce ne fut pas vraiment le cas, du moins pas suffisamment.

Pourquoi ? D’abord, parce que le marché du travail est resté vigoureux, somme toute. Oui, le nombre de postes vacants diminue, mais le chômage reste bas. À cela s’ajoutent l’épargne accumulée des ménages et les mesures budgétaires des gouvernements.

Surtout, le boom de l’immigration au Canada est venu mêler les cartes, ajoutant à la vigueur des dépenses des ménages, ce que souligne la Banque.

L’an dernier, la population canadienne a augmenté de plus d’un million de personnes et la cadence se poursuit cette année. Un tel volume n’a pas été vu au Canada depuis 1949, lorsque Terre-Neuve a fait son entrée dans la confédération (elle ajoutait alors quelque 600 000 personnes à la population canadienne).

« Il est indéniable que la politique d’immigration du Canada a un impact. Elle crée notamment un choc sur le marché de l’habitation », dit l’économiste en chef de la Banque Nationale, Stéfane Marion.

À ce sujet, justement, la Banque note que les acheteurs ont commencé à revenir sur le marché de la revente de logements et que les prix ont augmenté en mai pour le deuxième mois consécutif.

« Les augmentations, qu’elles concernent les reventes ou les prix, ont été observées dans tout le pays et ont été plus marquées qu’on ne l’escomptait dans le Rapport de janvier », écrit la Banque.

Le phénomène est particulier, puisque les taux hypothécaires ont fortement grimpé depuis 18 mois, faisant bondir les paiements mensuels d’un nouvel acheteur de maisons de 500 $, voire plus, selon le terme choisi1.

Devant la situation, le service économique du Mouvement Desjardins croit que la Banque pourrait de nouveau hausser son taux directeur lors de sa prochaine réunion, le 6 septembre, « mais nous continuons de croire que ce sera la dernière pour ce cycle ».

L’année 2024 sera difficile, selon Desjardins. La croissance du PIB avoisinera 0,4 %, soit bien moins qu’en 2023, qui atteindrait 1,7 %, tout compte fait.

L’année 2023, qui a commencé en lion avec un bond annualisé de 3,1 % au premier trimestre, devrait terminer l’année avec un recul de 0,1 % au dernier trimestre2.

Le service économique de la Banque Nationale, de son côté, ne prévoit carrément aucune croissance en 2024 (0 %). Le chef économiste Stéfane Marion croit que le taux directeur pourrait commencer à redescendre durant le premier trimestre de 2024, après un début d’année économiquement difficile.

Il juge que la Banque du Canada ne tient pas suffisamment compte de la détérioration des profits des entreprises dans ses analyses, qui se répercute sur le marché du travail.

Dans ses prévisions, justement, la Banque du Canada est loin d’être aussi pessimiste que la Nationale ou Desjardins, voyant l’économie croître de 1,5 % en 2024.

Au moins, les Canadiens peuvent se consoler en pensant aux Européens, dont l’inflation est plus forte et l’économie, plus vacillante.

1. Notre calcul est basé sur un emprunt hypothécaire de 350 000 $ et sur un taux de 5 ans qui a grimpé de 2,5 points de pourcentage. La hausse des mensualités pourrait atteindre 1000 $ avec le terme d’un an, dont les taux ont augmenté davantage.

2. La croissance annualisée du PIB devrait avoisiner 1,5 % au 2e trimestre de 2023, puis 0,4 % au 3e trimestre.