En théorie, notre Charte des voyageurs aériens prévoit des indemnisations en cas de vol retardé, annulé ou surréservé. En pratique, toutefois, cette protection est « difficile à appliquer », de l’aveu même de l’organisme fédéral qui traite les plaintes. Des changements seront bientôt apportés, mais il ne faut pas trop se faire d’illusions. Les compagnies aériennes devraient encore trouver le moyen de se défiler.

Jusqu’ici, on ne peut pas dire que le Règlement sur la protection des passagers aériens (RPPA) entré en vigueur en 2019 s’est démarqué par son efficacité remarquable.

D’abord, le traitement des plaintes prend un temps fou. Imaginez, pas moins de 52 000 dossiers sont présentement en attente. Si les employés maintiennent leur cadence de 2022, soit 217 dossiers analysés par semaine, ça prendra plus de quatre ans et demi pour passer à travers la pile… qui n’arrête pas de grossir. L’Office des transports du Canada (OTC) évoque plutôt un délai de 18 mois, mais n’a pu m’expliquer son calcul, vendredi.

Il devenait donc impératif de revoir le processus d’examen pour le simplifier. Cela fait justement partie des modifications annoncées mercredi dernier. Celles-ci devraient entrer en vigueur en 2024, après deux processus de consultations cette année.

L’OTC souhaite régler les plaintes en deux étapes et en deux mois. Une période de 30 jours de médiation serait suivie (si nécessaire) d’un jugement dans les 30 jours. Si ça fonctionne, ce serait une amélioration notable.

L’autre irritant majeur, pour les voyageurs, est la facilité désarmante avec laquelle une compagnie aérienne peut rejeter une réclamation en interprétant le règlement à son avantage. Il lui suffit d’évoquer un souci de sécurité ou une situation indépendante de sa volonté et le tour est joué, à moins que le voyageur soit assez déterminé pour poursuivre les démarches devant l’OTC.

Mais cette éventualité ne doit pas faire beaucoup frémir Sunwing, WestJet, Air Canada et les autres. « Seulement 3 % des gens qui reçoivent un refus vont devant l’OTC », m’a précisé Jacob Charbonneau, cofondateur et PDG de Vol en retard, une entreprise qui aide les voyageurs à faire valoir leurs droits.

Selon le règlement actuel⁠1, seuls les inconvénients d’un retard ou d’une annulation survenus lors de circonstances « entièrement attribuables à la compagnie aérienne » donnent droit à une indemnisation. À l’avenir, l’OTC souhaite que les voyageurs soient dédommagés pour toute perturbation de vol, sauf s’il s’agit de « circonstances exceptionnelles ».

Cette nouvelle façon d’écrire le règlement est censée « clarifier, simplifier et renforcer le régime canadien de protection des passagers aériens ». Mais tout reposera sur la définition d’une « circonstance exceptionnelle », sur ce que cette expression englobe. Vous voyez le hic ?

L’OTC a pris soin d’énumérer dans son document de consultation une liste d’exemples, parmi lesquels se trouvent les habituels « risques pour la sécurité », les « conditions météorologiques », la fermeture de l’espace aérien ou de l’aéroport, de même qu’un conflit de travail.

Tout cela se discute. Certains, comme le député du Bloc québécois Xavier Barsalou-Duval, croient que les indemnités devraient être plus systématiques⁠2. « Il faut que ça soit clair : un vol annulé, ben les gens sont compensés. Si je commande une pizza et qu’on ne me la livre pas, que ce soit parce qu’il y a une tempête de neige ou que ce soit parce que le gars, il n’est pas rentré travailler ce matin-là, ils vont me rembourser la pizza. »

Il importe de trouver le bon point d’équilibre. Une entreprise ne peut quand même pas être tenue responsable de tout, mais la protection des passagers doit être bonifiée pour gagner en crédibilité.

Pour le moment, les exemples fournis donnent trop de latitude aux transporteurs, juge l’avocate Sylvie De Bellefeuille, qui s’intéresse de près à cette question chez Option consommateurs. C’est aussi l’avis du directeur du programme de gestion de l’aviation de McGill, John Gradek, pour qui l’exception la plus décevante est celle-ci : « problèmes liés à l’exploitation de l’aéroport ». Pour cet expert, c’est un « ramasse-tout » beaucoup « trop vague ».

Avec le nouveau règlement, ils essaient de minimiser les excuses que les compagnies aériennes utilisaient. Mais ils leur donnent la possibilité d’en inventer d’autres.

John Gradek, directeur du programme de gestion de l’aviation de McGill

Ce serait pourtant simple de reprendre intégralement le texte de la Charte européenne de protection des consommateurs qui fonctionne très bien depuis 20 ans…

Sylvie De Bellefeuille et Jacob Charbonneau déplorent aussi le recul en matière de transparence, car les décisions de l’OTC seront confidentielles. Quelques grandes lignes seront toutefois publiées en ligne pour aider les passagers d’un même vol problématique, promet-on.

Ce qui est très intéressant, en revanche, c’est que chaque plainte reçue par l’OTC se transformera en facture pour la compagnie aérienne. Le montant n’aurait pas encore été déterminé, mais souhaitons qu’il soit assez élevé pour mettre un terme aux refus quasi systématiques d’indemnisation. Cette nouveauté pourrait, à elle seule, avoir un impact significatif sur la protection des consommateurs. Chapeau !

Autre point en apparence intéressant : le fardeau de la preuve est renversé. Ce sera au transporteur – et non plus à son client – de démontrer ce qui a causé la perturbation. Il était temps que cette anomalie soit corrigée. Mais Sylvie De Bellefeuille demeure prudente. « Mon inquiétude, c’est que le transporteur envoie un rapport mécanique de 50 pages que personne ne va comprendre. » Comment, alors, contester l’argument fourni ?

Quant aux montants prévus pour les indemnisations, aucune hausse n’est proposée.

Indemnités prévues (grandes compagnies aériennes)

400 $ : retard de trois à six heures

700 $ : retard de six à neuf heures

1000 $ : retard de neuf heures et plus

C’est à l’usage, encore une fois, qu’on verra ce qui fonctionne et ce qui cloche. Pour réduire les risques de soucis en amont, on peut toujours préférer les transporteurs qui se démarquent par leur faible ratio de plaintes.

1. Voyez quelles situations offrent une protection aux voyageurs 2. Lisez l’article de La Presse Canadienne « Jusqu’à un an et demi pour traiter les plaintes » Consultez la suggestion de refonte du Règlement sur la protection des passagers aériens