L’inflation alimentaire dans les supermarchés est supérieure à 5 % depuis maintenant 20 mois, mais on ne s’y est pas encore habitué pour autant. On continue plutôt de changer nos habitudes de consommation dans l’espoir d’échapper au phénomène, comme en témoignent les résultats financiers de Loblaw (Maxi et Pharmaprix) dévoilés mercredi.

Maxi et son équivalent No Frills, dans les provinces anglophones, continuent ainsi d’élargir leur bassin de clients au détriment des supermarchés traditionnels comme Provigo, Metro et IGA.

Ces enseignes à bas prix « n’ont jamais été aussi achalandées, avec une croissance record dans les deux chiffres du nombre de consommateurs », a même annoncé le président de Loblaw, Galen Weston, en commentant les résultats⁠1 du deuxième trimestre clos à la mi-juin.

Ce n’est pas pour rien que l’entreprise ontarienne multiplie les conversions de magasins Provigo en Maxi⁠2. « C’est incroyable comme ça marche ! », m’a dit le chef de la direction financière de Loblaw, le Québécois Richard Dufresne. Cette année, 24 conversions sont prévues. Un nombre similaire doit se faire l’an prochain.

Une « enquête spéciale » de Statistique Canada sur le coût de la vie confirme un autre phénomène : nous achetons de plus en plus de nourriture dans les magasins de marchandises diverses. Cette catégorie inclut des enseignes comme Costco, Walmart, Dollarama et Tigre Géant. La part des aliments que nous achetons dans ces commerces est passée de 21,6 % au début de 2021 à 25,9 % à la fin de 2022.

Les ventes de Dollarama ont d’ailleurs bondi de 20,7 % au cours des mois de février, mars et avril (son premier trimestre), par rapport à la même période en 2022. Le nombre de transactions, en hausse de 15,5 %, démontre aussi que les clients ont été beaucoup plus nombreux. Le président Neil Rossy avait soutenu en commentant ces résultats que toutes les catégories de produits étaient plus populaires, pas seulement la nourriture.

En février, la firme de recherche NIQ (anciennement NielsenIQ), qui compile les achats de nourriture effectués dans les commerces, avait fait état d’une hausse des ventes de nourriture chez Dollarama de 19 %, en 2022, par rapport à l’année précédente⁠3.

Loblaw a précisé qu’exprimées en volume, ses ventes sont stables grâce au succès de ses magasins à bas prix comme Maxi.

Paniers moins remplis

Le géant ontarien continue aussi d’observer des changements dans les paniers. Les marques nationales perdent encore du terrain au profit des marques privées, ce qui profite particulièrement à ses produits jaunes no name. Tous les détaillants veulent profiter de cette manne. Empire (IGA au Québec) a lancé 100 nouveaux produits de marque privée uniquement à son dernier trimestre.

Tant Empire que Loblaw constatent que les paniers de leurs clients sont moins remplis qu’avant la poussée inflationniste.

En 2022, le volume d’achat a reculé de 3,6 %, confirme l’enquête de Statistique Canada qui, malheureusement, ne creuse pas la question pour l’expliquer. Mange-t-on moins ? Gaspille-t-on moins ? Personne ne semble avoir encore analysé ce phénomène inédit, mais généralisé. Selon une récente enquête de la firme Capterra, pas moins de 71 % des Canadiens achètent moins de produits d’épicerie qu’auparavant pour réduire leur facture alors que les prix grimpent.

La haute direction de Loblaw observe aussi une utilisation accrue de la carte de fidélisation PC Optimum. Pour réduire leur facture d’épicerie, les consommateurs utilisent davantage leurs points. C’est la bonne chose à faire, comme je l’ai souvent écrit⁠4. Avec l’inflation, ce que l’on peut obtenir en échange de ses points diminue de mois en mois, si bien qu’il faut s’empresser de s’en servir.

Voleurs professionnels plus nombreux

La hausse du coût de la vie provoque aussi une flambée des vols à l’étalage par des professionnels de la chose.

Chez Pharmaprix, ces pilleurs apprécient particulièrement les bouteilles de parfum, car ce sont des produits coûteux, faciles à voler et à revendre, je suppose. « On a des vidéos incroyables. Les voleurs rentrent quasiment avec des poches de hockey pour les remplir », m’a confié Richard Dufresne au téléphone.

Les lames de rasoir, le lait maternisé et les rasoirs sont aussi des produits prisés étant donné leur prix.

L’impact sur les résultats financiers de Pharmaprix est loin d’être marginal. Sans les vols, la marge brute de Shoppers Drug Mart (Pharmaprix) aurait augmenté au cours du trimestre. C’est si sérieux qu’après la fermeture des marchés, une analyste de la BMO a écrit que le titre de Loblaw avait terminé la séance en baisse en grande partie à cause de ce qui se produit dans ses pharmacies. Les épiceries souffrent aussi de la fraude, mais dans une moindre mesure.

Pour faire diminuer le nombre de vols, diverses mesures sont en train d’être mises en place. Les parfums, entre autres, sont retournés dans des présentoirs verrouillés, comme c’était le cas il y a un certain nombre d’années. Cela rend le magasinage moins agréable pour les clients, mais à la grande surprise de Loblaw, les ventes ne diminuent pas. L’achat de rasoirs nécessite aussi l’intervention d’un employé, car les boîtes sur les tablettes sont maintenant vides.

En revanche, les cartes de crédit émises par Loblaw profitent de la hausse du coût de la vie. Les consommateurs lui versent plus d’intérêts sur des soldes impayés et les frais d’interchange recueillis sur chaque transaction ont bondi. Au bout du compte, le chiffre d’affaires de ses services financiers a crû de 17 %, ou 51 millions, ce qui est révélateur de la situation financière précaire dans laquelle un bon nombre de ménages canadiens se trouvent… notamment à cause du prix élevé des aliments.

1. Lisez « Les profits de Loblaw bondissent de 31,3 % à 508 millions » 2. Lisez « De petits Maxi, ben oui ! » 3. Lisez « Nos infidélités profitent à Dollarama » 4. Lisez « Être ou ne pas être écureuil avec ses points »