L’impression est tenace chez de nombreux consommateurs voulant que beaucoup d’entreprises aient profité de la forte inflation des deux dernières années pour augmenter de façon notable leur marge bénéficiaire. L’inflation aurait eu le dos large pour permettre, notamment dans le secteur de l’alimentation, aux trois grandes chaînes d’épicerie canadiennes d’engranger les meilleurs profits des cinq dernières années en 2022.

Une impression qui ne traduit toutefois pas la réalité, soutient cette semaine une étude interne réalisée par quatre économistes de la Banque du Canada dans un document de travail indépendant qui ne répond pas nécessairement au point de vue officiel de la banque centrale canadienne.

Les économistes ont analysé les statistiques financières de quantité d’entreprises entre 2018 et 2022 pour tenter d’établir si ces sociétés avaient profité de leur pouvoir dans leur marché respectif pour hausser leurs prix de façon plus importante que la hausse des coûts d’exploitation qu’elles ont eu à subir durant cette période.

En d’autres mots, les économistes ont cherché à établir si la hausse des marges bénéficiaires des entreprises a été un facteur inductif de la forte inflation qu’on a dû subir à partir de 2021 avant qu’elle atteigne les niveaux records observés en 2022.

Une inflation forte comme on n’en avait jamais vu depuis les années 1980, une inflation qui a fortement altéré le pouvoir d’achat des consommateurs et une inflation qui a entraîné la hausse des taux d’intérêt qui touche notamment directement le marché immobilier canadien.

Les économistes sont partis du postulat que plus une entreprise a du pouvoir dans un marché, plus elle est en mesure d’augmenter ses prix et, par incidence, ses marges de profit.

Lorsque les coûts de production augmentent, les marges de profit ont tendance à baisser, et ce n’est pas le niveau des profits qui génère de l’inflation, mais la croissance de la marge bénéficiaire des entreprises.

Ce que l’on a observé en 2020, au début la pandémie, c’est que les marges bénéficiaires des entreprises ont augmenté, alors que leurs ventes et leurs coûts ont eu tendance à baisser, en raison notamment des nombreux confinements et des mesures de distanciation physique qui ont été imposées.

Durant cette période, la baisse des coûts des entreprises a été plus importante que la baisse de leurs ventes, c’est ce qui a permis d’augmenter leur marge de profit.

Le travail à distance, l’impossibilité de réaliser des voyages d’affaires, l’utilisation optimale des stocks ont notamment permis cette plus grande profitabilité, qui ne s’est toutefois pas répercutée par une hausse de l’inflation.

L’année d’exception… 2021

Avec la levée de la plupart des contraintes sanitaires, l’activité économique a repris en 2021 et les entreprises ont enregistré des ventes plus fortes que la hausse de leurs coûts, ce qui a permis une croissance des marges de profit principalement en début d’année, mais moins fortes qu’en 2020, observent les économistes de la Banque du Canada.

Ils estiment toutefois que cette hausse des marges bénéficiaires a contribué dans une proportion de 10 % à l’atteinte du taux d’inflation de 5,1 % qui a été enregistré durant l’année.

En 2021, les entreprises ont haussé leurs prix en anticipant une demande plus forte et une augmentation plus importante de leurs coûts pour pouvoir justement être en mesure de répondre à cette demande accrue. La demande a toutefois rebondi plus vite que les coûts des entreprises.

Mais en 2022, l’année de tous les records d’inflation des quatre dernières décennies, la hausse des ventes et celle des coûts ont été identiques, alors que les entreprises ont enregistré une croissance nulle ou négative de leur marge de profit.

L’étude des économistes arrive donc à la conclusion qu’on ne peut pas attribuer la forte inflation de 6,8 % en 2022 à la hausse des marges bénéficiaires des entreprises.

Quand les prix baissent en raison d’une baisse des coûts des entreprises, leur marge bénéficiaire reste la même ou peut augmenter.

Lorsque les coûts augmentent, comme cela a été le cas en 2022 et 2023, les entreprises augmentent leurs prix, mais pas nécessairement leur marge bénéficiaire, même si leurs profits augmentent.

Avec une inflation alimentaire qui avoisine toujours les 10 % alors que l’indice des prix à la consommation a augmenté de 2,8 % en juin, on a pourtant encore l’impression que les grandes chaînes de supermarchés s’en mettent toujours plus dans les poches.

Elles en mettent effectivement plus dans la poche de leurs actionnaires, mais leur marge bénéficiaire n’augmente pas pour autant même si le prix du panier d’épicerie est, avec le coût de l’intérêt hypothécaire, l’un des deux principaux vecteurs qui contribuent à l’augmentation de l’indice des prix à la consommation globale.

L’étude indépendante réalisée par les économistes de la Banque du Canada vient donc démontrer que les hausses répétées des taux d’intérêt décrétées par la banque centrale étaient absolument nécessaires pour enrayer l’inflation qui n’a pas été causée par la seule course à la profitabilité des entreprises.