Le gouvernement italien a décidé lundi d’imposer une taxe exceptionnelle sur les surprofits enregistrés par les cinq grandes banques du pays qui ont profité depuis deux ans des hausses répétées des taux d’intérêt pour s’enrichir sur le dos de leurs clients emprunteurs sans récompenser aussi généreusement leurs clients épargnants. Une mesure populiste s’il en est, mais qui a dû être révisée à la baisse en raison de la forte réaction des marchés.

Les grandes banques italiennes ont enregistré des profits en forte hausse au cours du premier semestre de l’année, une augmentation de l’ordre de 80 % par rapport à l’année dernière pour certaines d’entre elles. Cette profitabilité optimale a été rendue possible grâce aux hausses répétées des taux d’intérêt qui ont largement profité aux institutions prêteuses italiennes.

Le gouvernement conservateur de la première ministre Giorgia Meloni a entrepris de prélever une partie des bénéfices excédentaires des banques pour soulager ceux qui ont été touchés par les hausses de taux d’intérêt, soit les emprunteurs hypothécaires et les petites et moyennes entreprises.

En filigrane, le gouvernement de droite italien envoie aussi un message à la Banque centrale européenne, à qui il reproche les neuf hausses de taux d’intérêt successives qu’elle a décrétées pour juguler l’inflation.

La taxe exceptionnelle sur les surprofits des banques italiennes, qui sera payable d’ici la fin de 2024, consistait au départ à prélever 40 % sur la marge d’intérêt nette des banques, c’est-à-dire sur la différence entre le taux d’intérêt auquel les institutions prêtent à leurs clients et celui qui leur en coûte pour se financer.

Cette annonce a entraîné mardi la déroute des titres boursiers des grandes banques visées par la mesure et le gouvernement a annoncé mercredi qu’il allait limiter la contribution maximale des banques à 0,1 % de la valeur de leurs actifs, ce qui a visiblement calmé le jeu.

Des analystes financiers, cités par l’Agence France-Presse, estiment que la mesure atténuée devrait coûter 2,5 milliards d’euros aux banques italiennes plutôt que les 4,9 milliards qu’elles auraient dû débourser selon la première mouture de la taxe spéciale présentée lundi.

L’imposition d’une surtaxe n’est pas une mesure exceptionnelle. Le gouvernement fédéral canadien a décidé d’en imposer une en 2022 sur les profits que les banques canadiennes avaient enregistrés en 2021 durant la pandémie.

L’Italie n’est pas le premier gouvernement d’un pays européen à adopter ainsi une taxe exceptionnelle rétroactive afin de corriger un préjudice issu d’une conjoncture économique particulière.

La France a utilisé le même type de mesure l’an dernier en taxant les surprofits des entreprises du secteur de l’énergie qui ont profité de la flambée des prix provoquée par la guerre en Ukraine pour s’en mettre plein les poches.

Une surtaxe qui a permis de plafonner les prix de l’énergie, mais que le gouvernement français n’utilisera pas de nouveau cette année. L’Italie a fait la même chose cette année en surtaxant les bénéfices des groupes énergétiques.

Une situation impensable ici

Vu du Québec et du Canada, on se demande comment une telle situation a été rendue possible. Comment les banques italiennes ont-elles pu hausser les taux d’intérêt sur leurs prêts à des niveaux tels qu’elles ont pu pratiquement doubler leur profitabilité d’une année à l’autre ?

Chez nous, c’est le phénomène inverse que l’on observe historiquement : lorsque les taux d’intérêt augmentent, la profitabilité des banques en souffre.

Au premier trimestre de l’année, cinq des six grandes banques canadiennes ont enregistré des profits en baisse par rapport au trimestre équivalent l’année d’avant.

Au deuxième trimestre, ce sont toutes les banques canadiennes qui ont vu leur rentabilité s’effriter par rapport à 2022 : - 5 % pour la Nationale, - 12 % pour la TD, - 12 % pour la CIBC, - 14 % pour la Banque Royale, - 21 % pour la Scotia, - 78 % pour BMO…

Lorsque les taux augmentent et que pointe l’éventualité d’une récession, les particuliers comme les entreprises réduisent leur appétit pour l’endettement et les banques doivent augmenter de façon importante leurs dotations aux pertes de crédit.

Elles mettent de côté des provisions pour éponger les défauts de paiement de leurs clients en difficulté.

Les banques canadiennes font plus d’affaires dans un contexte de bas taux d’intérêt et la marge qu’elles maintiennent entre les coûts de leur financement et l’intérêt qu’elles prélèvent auprès de leurs clients reste à peu près la même.

« En Italie les écarts (spreads) entre les taux de financement interbancaires et les taux d’intérêt sur les prêts sont beaucoup plus grands qu’au Canada, les banques ont beaucoup plus de marge de manœuvre et elles en ont profité », explique Inès Gargouri, professeure de finance internationale à l’ESG UQAM.

L’économiste souligne également que les banques italiennes n’adaptent pas leurs dotations aux pertes de crédit avec la même célérité que les banques canadiennes.

« Au Canada, on a un système bancaire beaucoup plus efficace où la cupidité entre moins en jeu qu’en Europe. Les grandes banques canadiennes agissent en bon père de famille, tout en restant compétitives entre elles », poursuit Inès Gargouri.

Les six grandes banques canadiennes ne profitent peut-être pas des hausses des taux d’intérêt pour s’en mettre plein les poches comme les banques italiennes l’ont fait, mais elles ont tout de même été en mesure de générer collectivement des profits de 60,7 milliards en 2022, en hausse de 2,8 % sur l’année précédente.