L’immigration augmentera fortement au Canada, selon ce que souhaite le gouvernement fédéral. Dans ce contexte, une question se pose : combien de temps faut-il aux immigrants pour se tailler une place enviable dans leur société d’accueil, et plus particulièrement les immigrants dits racisés ?

Plusieurs analyses ont été publiées sur l’amélioration significative du taux d’emploi et des revenus des immigrants après 10-15 ans ou encore ceux de leurs enfants devenus adultes. Mais parmi les immigrants, quelle est la part qui reste sous le seuil de pauvreté1 ?

Statistique Canada vient de publier une analyse éclairante à ce sujet, qui permet de suivre l’évolution du taux de pauvreté des immigrants racisés jusqu’à la troisième génération. L’organisme a comparé 11 groupes racisés – appelés souvent des minorités visibles – tels que définis dans le recensement de 2021, par exemple les Chinois, les Coréens, les Latino-Américains, les Arabes et les Noirs2.

Comme on peut s’y attendre, le taux de pauvreté est généralement plus élevé que chez les Blancs, surtout pour la première génération. L’écart s’estompe après deux générations, mais demeure plus grand, tout pris en compte, pour certains groupes. Et parmi eux, trois sont proportionnellement très présents au Québec, soit les Latino-Américains, les Noirs et les Arabes.

Voyons voir. D’abord, chez les Blancs, le taux de pauvreté des immigrants de première génération était de 7 % en 2020 au Canada. Ce taux était de 9,4 % chez les Latino-Américains et les Japonais, de 10,9 % chez les Noirs et de 15,4 % chez les Arabes.

Statistique Canada explique ce grand écart « par les problèmes de transférabilité au Canada des études et de l’expérience de travail acquises à l’étranger, les lacunes dans les compétences en littératie et la méconnaissance des marchés du travail locaux », entre autres.

L’étude ne fait pas de comparaison provinciale, mais elle indique dans quelles provinces vivent, en proportion, les 11 groupes racisés. Les Arabes immigrent principalement au Québec (40 %) et en Ontario (41 %), comme les Noirs d’ailleurs (26 % au Québec et 51 % en Ontario), alors que les Japonais et les Chinois choisissent la Colombie-Britannique dans une proportion de 45 % et 33 %. Le Québec, rappelons-le, regroupe près de 23 % de la population canadienne.

Ce taux de pauvreté observé est toutefois bancal, si l’on peut dire, car il ne tient pas compte des divers facteurs sociodémographiques des immigrants, comme leur âge, leur diplomation, leur faculté de parler anglais ou français, la monoparentalité ou non, etc.

L’organisme fait donc des ajustements, « qui supposent que chaque groupe racisé a les mêmes caractéristiques que la population blanche en ce qui concerne le sexe, l’âge, le niveau de scolarité, la langue, la cohabitation intergénérationnelle, le type de ménage, le nombre de personnes gagnant un revenu dans la famille économique, la taille de la famille économique et la répartition géographique ».

En redressant les données pour comparer des pommes avec des pommes, le taux de pauvreté ajusté recule significativement, notamment chez les Arabes (- 2,8 points), les Chinois (- 2,7 points), les Asiatiques de l’Ouest (- 2,0 points) et les Noirs (- 1,3 point). Il demeure quand même significativement plus important que chez les Blancs.

La situation s’améliore nettement à la deuxième et à la troisième génération. Le taux de pauvreté observé devient même plus bas chez les Japonais (5,5 %) et les Chinois (5,1 %) que chez les Blancs (6,0 %) à la troisième génération.

Malheureusement, tant pour le taux observé que pour le taux ajusté pour tenir compte des facteurs sociodémographiques, la pauvreté demeure plus grande à la troisième génération pour certains groupes, dont trois sont particulièrement présents au Québec.

Alors que le taux ajusté est de 6,0 % chez les Blancs, il est de 8,1 % pour les Latino-Américains, de 7,6 % pour les Noirs et de 7,3 % pour les Arabes.

« La persistance de ces disparités dans ces générations vient donc corroborer le lien entre le statut de personne racisée et l’inégalité économique », écrivent les chercheurs Christoph Schimmele, Feng Hou et Max Stick, de Statistique Canada.

Autre élément à noter : les taux ajustés pour les facteurs socioéconomiques occultent le fait que certains groupes racisés, même à la troisième génération, ont des profils moins favorables, explique Statistique Canada.

« Les populations noire, latino-américaine et asiatique de l’Ouest de troisième génération ou de générations subséquentes comptaient une proportion relativement importante de familles monoparentales, à savoir 28 %, 26 % et 20 % respectivement, des proportions beaucoup plus élevées que celles observées chez les Blancs (9 %) », expliquent les chercheurs.

Ces trois groupes, de plus, comptent un nombre moins élevé de personnes gagnant un revenu dans la famille et un niveau de scolarité moindre.

La situation des minorités visibles reste moins facile que celle des Blancs, même plusieurs années après leur arrivée au Canada. Et nos décideurs ont le devoir de se pencher sur la question.

1. Pour estimer le taux de pauvreté, Statistique Canada a retenu la mesure fondée sur un panier de consommation type (nourriture, habillement, transport, logement, etc.), la méthode officielle du gouvernement fédéral depuis 2018. En 2020, le seuil de revenu familial en dessous duquel une famille moyenne est considérée comme pauvre était de 41 506 $ à Montréal, 49 727 $ à Toronto et 50 569 $ à Vancouver.

2. Lisez l’étude