Les citoyens sont nombreux à critiquer la Banque du Canada. À juger qu’elle a trop fortement haussé son taux directeur depuis 18 mois, après avoir bâclé son travail pendant la pandémie.

J’en ai eu un aperçu dans les courriels qui ont suivi ma chronique de samedi intitulée « Ne sous-estimez pas la Banque du Canada⁠ »1. « La Banque est gérée par des incompétents dans leur quête dogmatique d’une inflation à 2 %. Ces tatas ne semblent pas réaliser que les temps ont changé, et qu’une inflation tolérable de 3 % serait aujourd’hui appropriée », m’écrit un des nombreux lecteurs qui m’ont envoyé un message.

Même des politiciens sont intervenus, comme les premiers ministres de l’Ontario et de la Colombie-Britannique, qui demandent à la Banque de cesser les hausses de taux.

Mais ne comptez pas sur le ministre des Finances du Québec, Eric Girard, pour rejoindre les contestataires. Au contraire, M. Girard juge que la politique monétaire de la banque centrale fonctionne admirablement.

L’économie ralentit et le taux d’inflation, de 3,3 % en juillet au Canada, descendra à 3 % à la fin de décembre prochain, puis à 2 % à la fin de 2024, comme prévu par la Banque, dit-il.

« Il est contre-productif que des politiciens disent quoi faire à la Banque du Canada. […] Le taux d’inflation descend, c’est parti. C’est signe que la politique monétaire fonctionne », a-t-il dit lors d’une entrevue dans les bureaux de La Presse, mardi, à la veille de l’annonce de la banque centrale qui dira si elle hausse ou maintient son taux directeur.

Moins de 50 % de probabilité de récession, dit Girard

Eric Girard juge que le risque de récession au Canada est maintenant de moins de 50 % en 2023, après un début d’année économique au-delà des attentes. La croissance économique sera faible en 2024, croit-il, mais elle demeurera globalement positive, probablement sans récession.

« Car pour l’instant, il ne semble pas qu’on va devoir pousser les taux d’intérêt jusqu’à tant que l’économie s’écroule pour faire baisser l’inflation », a dit le ministre.

« Le marché de l’emploi fléchit et les salaires se tempèrent, on le voit. Pour quelqu’un qui se cherche du travail, 2023, c’est moins bon que 2022, mais c’est encore un marché du travail qui est serré », fait remarquer Eric Girard.

Pour l’ensemble de 2023, le ministre entrevoit une croissance du PIB québécois de 0,7 à 0,8 %, ce qui serait conforme aux prévisions du budget de mars dernier (0,6 %). Ce niveau laisse présager que le gouvernement atteindra ses cibles prévues de déficit (4 milliards cette année), pas davantage.

Malgré ce ralentissement, il n’est pas question que le gouvernement du Québec envoie encore des chèques aux contribuables, comme l’automne dernier.

Eric Girard juge que le gouvernement du Québec en a fait suffisamment, bien plus que les autres. Il calcule à 3 milliards de dollars la réduction du fardeau fiscal des Québécois durant le premier mandat de la Coalition avenir Québec, ce à quoi il faut ajouter l’indexation du régime fiscal (au taux de 6,4 % en 2023).

Surtout, il croit qu’il faut maintenant pousser à la roue pour mater l’inflation. « C’est le moment pour l’ensemble des gouvernements du Canada de synchroniser leur politique fiscale avec la politique monétaire [de la Banque du Canada] pour qu’on atteigne la cible d’inflation », a-t-il expliqué.

Ce que je pense de tout ça ? Que l’indépendance de la Banque du Canada est cruciale.

Certes, la critique des citoyens est compréhensible. La hausse des paiements hypothécaires et des marges de crédit fait mal, surtout à ceux qui ont acheté leur propriété dans le haut du marché, en 2022, et qui ont misé sur un taux d’intérêt variable, qui a explosé depuis. Environ 10 % de la population se trouve dans cette situation, peut-être moins, affirme Eric Girard.

La sortie de bien des politiciens est aussi compréhensible. L’inflation et la hausse des taux d’intérêt sont très impopulaires chez les électeurs, et bien qu’ils n’en soient pas responsables, les politiciens au pouvoir craignent que ces chocs économiques se retournent contre eux, tandis que ceux qui sont dans l’opposition veulent en tirer profit.

Parlez-en à Justin Trudeau, constamment critiqué par Pierre Poilievre à ce sujet.

Sauf que la banque centrale doit être imperméable à ce jeu politique, sans quoi elle ne prendra pas ses décisions pour le bien de l’ensemble de l’économie, à long terme, mais pour les intérêts particuliers du moment.

Bien sûr, on peut critiquer les décisions du gouverneur Tiff Macklem et des sous-gouverneurs. Par exemple, Eric Girard a évoqué, comme d’autres, le trop long délai avant que la banque ne commence à hausser ses taux d’intérêt.

Bien sûr, ceux qui ont de bonnes connaissances en économie peuvent estimer que les taux sont trop élevés – ou pas assez – pour remettre l’économie à long terme sur le bon chemin. Ou encore que le taux d’inflation de 3 % est à un niveau correct.

Il reste que les « tatas » qui dirigent la Banque du Canada, comme dit le lecteur, ont tous des doctorats en économie et connaissent profondément les effets de la politique monétaire. Et que leur indépendance doit être jalousement protégée, comme celle des autres banquiers centraux de la planète, qui agissent de la même façon face à une hausse de l’inflation.