Ce n’est pas pour me vanter, mais j’avais écrit, dès 2016, que le REM coûterait 7,9 milliards avec les éventuels dépassements de coûts. Et mercredi, les responsables du REM ont annoncé que ce serait finalement 7,95 milliards…

La facture annoncée représente un écart de 45 % avec l’estimation de 5,5 milliards d’abord avancée par le gouvernement de Philippe Couillard, en 2016. Oupelaye…

Je n’ai pas grand mérite, remarquez, puisque je m’étais fié aux découvertes du professeur Bent Flyvbjerg, de l’Université d’Oxford, au Royaume-Uni. Selon ses recherches, 9 mégaprojets sur 10 dans le monde font face à des dépassements de coûts. Et dans le secteur du rail, les dépassements moyens atteignent 45 %, d’où ma prédiction⁠1.

Soyons bon prince avec CDPQ Infra tout de même, la filiale de la Caisse de dépôt et placement qui gère le projet. À l’époque, la communauté avait rapidement demandé l’ajout de 3 stations et de 40 voitures, faisant passer l’estimation à 5,9 milliards. Et au terme de l’appel d’offres, le meilleur groupe de soumissionnaires acceptait de faire le projet pour 6,3 milliards…

Bref, c’est à cette soumission de 6,3 milliards qu’il faut vraiment comparer la facture « finale » de 7,95 milliards annoncés mercredi par CDPQ Infra. Il s’agit d’un écart encore considérable de 1,65 milliard, soit de 26 %, qui sera assumé en totalité par la Caisse.

J’écris « finale » entre guillemets parce que le REM n’est pas terminé. Seulement 17 des 67 kilomètres du réseau ont été livrés, soit l’antenne Rive-Sud. Le PDG de CDPQ Infra, Jean-Marc Arbaud, m’assure toutefois que 85 % du réseau est effectivement construit, et que pour les 15 % restants, les coûts sont plus prévisibles.

On verra. Les tests pour les antennes vers Deux-Montagnes et l’Ouest-de-l’Île devraient débuter au printemps prochain, et l’ouverture devrait avoir lieu fin 2024. Quant à l’antenne vers l’aéroport, elle ouvrira seulement en 2027, selon le calendrier d’Aéroports de Montréal (ADM). Beaucoup d’eau coulera sous les ponts d’ici là…

Nul doute que la pandémie ne pouvait être prévue par la Caisse. Cette pandémie a provoqué la fermeture des chantiers, diminué la productivité et prolongé les travaux et haussé les coûts, notamment avec l’inflation, dit CDPQ Infra. Elle estime que la moitié des 1,65 milliard de dépassements est attribuable à cette pandémie. Est-ce gonflé ?

Sinon, il ne reste plus que 13 % de dépassements (850 millions), qui seraient liés aux problèmes du tunnel du mont Royal (dynamite et voûte de l’avenue McGill College reconstruite) et à d’autres coûts qui auraient pu être inscrits, selon moi, dans la marge normale de risque et d’imprévus du budget initial.

La Caisse se justifie, par ailleurs, en citant une étude récente de McKinsey selon laquelle les dépassements atteignent 79 % pour les projets majeurs dans le monde, ce qui serait encore plus que les 45 % du professeur Bent Flyvbjerg… Bon.

Au fait, pourquoi les mégaprojets dépassent-ils presque toujours leur budget ? Règle générale, les projections des promoteurs sont souvent trop optimistes et les entrepreneurs, de leur côté, peuvent soumissionner trop bas pour obtenir le contrat, quitte à exiger des frais d’extras par la suite.

D’ailleurs, l’une des principales firmes à avoir travaillé sur le projet, SNC-Lavalin, a admis avoir perdu beaucoup avec les projets clés en main à prix fixe, comme celui du REM. Il est question de centaines de millions, et bien que la portion du REM n’ait pas été précisée – elle s’ajouterait donc aux 8 milliards. Elle serait payée cette fois par les actionnaires de SNC-Lavalin (devenue AtkinsRéalis), et non par les cotisants de la Caisse⁠2.

Autre raison invoquée par des chercheurs pour les dépassements : la propension des politiciens à sous-estimer les coûts pour mieux vendre leur projet à la population.

À ce sujet, précisons qu’à la facture officielle de 8 milliards s’ajoute près de 1 milliard dépensé par les gouvernements pour les bretelles d’autoroute, les terminus d’autobus et autres coûts indirects liés au REM, dont il n’a pas vraiment été question lors de l’annonce d’origine.

Rendement de 8-9 % ?

Maintenant, LA question : la Caisse parviendra-t-elle à réaliser son rendement annuel attendu de 8 à 9 % avec le REM, malgré le dépassement de 1,65 milliard ?

Jean-Marc Arbaud dit encore avoir bon espoir de l’atteindre. D’abord, il affirme que le développement immobilier avoisinant le REM, qui rapporte des redevances, est bien plus rapide que prévu⁠3.

Ensuite, il estime que l’achalandage, que certains jugent petit à voir passer des trains presque vides, surtout hors pointe, atteindra les niveaux prévus d’ici deux ans, après la période d’adaptation et l’annexion des autres antennes. L’achalandage atteint une moyenne de 30 000 par jour actuellement.

Il explique par ailleurs que les calculs de rendements sont faits pour le long terme, sur 30 ans. Il ne me l’a pas dit, mais la hausse de l’inflation est aussi bénéfique pour CDPQ Infra, puisque les tarifs qu’elle facture à l’ARTM sont indexés. Ils sont de 75 cents par passager-kilomètre actuellement.

On peut tout de même être sceptique. Surtout avec le phénomène du télétravail, qui devient de plus en plus permanent dans les entreprises, à deux ou trois jours par semaine, chose qui n’était pas prévue dans les calculs d’achalandage du REM à l’origine.

En juin 2021, Jean-Marc Arbaud me disait d’ailleurs qu’une fréquentation qui serait de 20 % moindre que prévu pendant 30 ans créerait un « gros problème » pour le rendement. Et dans ses recherches, le professeur Bent Flyvbjerg a calculé que les promoteurs surestimaient de 50 % le nombre d’utilisateurs…

Malgré tout, j’ai peine à croire qu’à long terme, le REM sera un fiasco pour Montréal, étant donné les contraintes qui seront imposées aux véhicules individuels et voyant l’afflux d’immigrants qui veulent vivre ici. Dans les 10 premières années, cependant, le rendement pourrait être passablement moins intéressant que prévu. On verra.

1. Lisez « Le train, la Caisse et les dépassements »

2. Jean-Marc Arbaud, de CDPQ Infra, m’indique que les tribunaux n’ont été saisis d’aucun litige à ce sujet avec SNC-Lavalin. Et il ne veut faire aucun commentaire sur la possibilité qu’il y ait des litiges.

3. Les redevances totales sont cependant plafonnées à 600 millions, selon les règles de l’ARTM, mais CDPQ Infra affirme qu’il n’atteint pas ce plafond ni n’avait pas prévu l’atteindre rapidement.