Ottawa monte le ton face aux grandes chaînes de supermarchés. Après avoir écouté leurs explications et leurs justifications de toutes sortes le printemps dernier, le gouvernement leur impose désormais de prendre des « actions significatives » pour stabiliser, voire réduire le prix des aliments. Sinon, il y aura des « conséquences », promet Justin Trudeau.

« Assez, c’est assez ! », a tranché le ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, François-Philippe Champagne, en conférence de presse au côté du premier ministre. Comme un parent qui n’a plus de patience face à un enfant indiscipliné, il accroît la pression pour faire bouger les choses en utilisant diverses tactiques.

Ainsi, dès lundi matin prochain, les PDG des cinq géants – Loblaw, Sobeys, Costco, Walmart et Metro – devront rencontrer le ministre pour discuter pendant une heure du prix des aliments. Ce n’est pas une invitation, mais une convocation, a-t-il tenu à préciser, comme pour asseoir son autorité.

Le délai est étonnamment court, ce qui forcera de nombreux chamboulements d’horaires. Cet empressement sert peut-être à envoyer le message que le dossier est urgent et que le gouvernement est plus sérieux que jamais. L’inflation alimentaire dans les supermarchés était pourtant bien plus élevée l’automne et l’hiver dernier, à 10 ou 11 %. Depuis mars, elle recule constamment.

Mais le gouvernement voit bien que l’obsession du chef conservateur Pierre Poilievre pour la hausse du coût de la vie ne suit pas la même courbe. Au contraire, elle s’accentue, ce qui sert bien sa popularité, si l’on se fie aux sondages.

La grogne des consommateurs ne baisse pas non plus au même rythme que l’inflation. Le prix des aliments est même – et de loin – le sujet d’actualité le plus abordé par les Québécois avec leurs proches, après les changements climatiques et le prix de l’essence, selon un récent sondage Léger.

Ce n’est pas injustifié, remarquez. Les dernières statistiques, pour le mois de juillet, font état d’une hausse annualisée du prix des aliments de 8,5 %. C’est encore très haut, et ça s’ajoute aux hausses des années précédentes, ce qui met une pression énorme sur le dos des ménages les moins nantis.

Même si les grands patrons des cinq grandes chaînes de supermarchés ont déjà dit aux élus qu’ils ne pouvaient rien faire pour empêcher le phénomène mondial d’inflation et qu’ils n’en profitaient pas sur le dos des consommateurs, force est de constater qu’il y a des sceptiques. À commencer par le premier ministre lui-même.

« Nous savons qu’ils peuvent en faire plus et qu’ils doivent en faire plus pour que la nourriture soit moins chère », a-t-il déclaré. Ainsi, les détaillants devront pondre un plan d’ici à l’Action de grâce pour « soulager la classe moyenne ». Si le gouvernement est insatisfait du résultat, il promet de sévir, mais détaille peu les « conséquences » qu’il imposerait. « Nous n’excluons rien, y compris des mesures fiscales. »

Face à cette menace floue, les détaillants sortiront-ils de leur chapeau des outils efficaces pour stabiliser le prix de l’épicerie qui n’avaient jamais été utilisés jusqu’ici ? S’ils le faisaient, ils donneraient raison à tous ceux qui les ont accusés depuis deux ans de provoquer l’inflation en augmentant les prix au bénéfice de leur marge de profit et au détriment des consommateurs. Il est difficile de concevoir qu’ils puissent élaborer une stratégie ayant pour effet de leur faire perdre à ce point la face.

Depuis le début, les PDG martèlent qu’ils ne sont pas responsables de la hausse du prix des aliments, un phénomène mondial provoqué par les changements climatiques, la guerre en Ukraine et le coût de l’énergie, notamment. Ils affirment aussi que les hausses de prix proviennent des fournisseurs.

En mai, Loblaw avait même accusé les multinationales de lui refiler des augmentations « excessives » et supérieures à celles des entreprises de moindre taille.

« Les solutions doivent impliquer tout le monde. Pas seulement le dernier maillon de la chaîne », m’a dit Michel Rochette, président de la branche québécoise du Conseil canadien du commerce de détail, l’association qui représente les grands détaillants.

De fait, c’est un peu curieux que le ministre Champagne n’ait pas aussi convoqué les fournisseurs. Il s’en est défendu en disant que les supermarchés avaient une vue d’ensemble de l’industrie. Pourtant, il est inspiré par les initiatives de la France, et là-bas, le gouvernement a réuni une poignée de détaillants et des dizaines de fournisseurs pour qu’ils trouvent ensemble des solutions à la spirale inflationniste. Ils ont convenu d’établir une liste de 5000 produits dont les prix seront gelés ou réduits. Reste à voir si la mesure changera quoi que ce soit pour les Français, mais au moins, l’effort est collectif.

Des détaillants français prennent aussi leurs propres initiatives anti-inflation. Carrefour identifie sur ses rayons les produits concernés par la réduflation (moins de biscuits dans le paquet pour le même prix). Cette humiliation publique sert-elle le consommateur ? Ça reste à prouver. Et au Canada, un petit marché, ce serait risqué.

Les fournisseurs montrés du doigt pourraient faire comme Kleenex et partir, réduisant alors la concurrence qui aide à contrôler l’inflation. Les particularités du Canada doivent être prises en considération par le ministre François-Philippe Champagne.

La pression d’Ottawa sur les supermarchés n’allégera sans doute pas notre facture d’épicerie de façon notable cet automne. Mais en se mêlant indirectement du prix des Corn Flakes, le gouvernement Trudeau montre qu’il se soucie du budget de la classe moyenne. Pour lui, c’est tout aussi important.