La femme d’affaires Marilou est connue pour Trois fois par jour, ses recettes et ses chansons. Directrice invitée de la section Affaires, elle a confié à nos journalistes et chroniqueurs la mission de répondre à ses interrogations d’entrepreneure.

Le mot de Marilou

J’entends souvent parler du vertige qu’engendre la retraite et de ce vide existentiel qui semble assez souvent un élément déclencheur pour la dépression. Quand j’ose en parler, on me dit souvent que je suis trop jeune pour me poser ces questions et que j’aurai bien du temps pour y penser plus tard. Mais je persiste à me demander si je n’ai pas raison de croire que la retraite devrait se construire un peu tous les jours, et ce, durant toute notre vie. Je ne parle pas ici d’une préparation au point de vue financier, mais bien sur le plan de notre façon de vivre.

Marilou est toute jeune et c’est évident qu’elle aime construire son entreprise, mais cela ne l’empêche pas d’avoir la sagesse de se projeter dans l’avenir. Dans l’après-Trois fois par jour. En réfléchissant à sa retraite, elle se demande si elle sera en mesure d’éviter ce sentiment de chute dans le vide dont elle a maintes fois entendu parler.

« Beaucoup de gens autour de moi me citent des hommes en dépression après avoir vendu leur entreprise », m’a-t-elle raconté.

Voilà pourquoi la trentenaire aux nombreux chapeaux – entrepreneure, chanteuse, porte-parole, mère, animatrice – cherche déjà (!) le moyen d’éviter ce passage. Avec raison, elle se demande s’il est possible de se donner corps et âme à son entreprise sans que son entreprise la définisse complètement.

Lise Watier est bien placée pour comprendre les préoccupations de Marilou, qu’elle connaît un peu puisqu’elles ont passé une fin de semaine ensemble pour l’émission La vraie nature, à TVA. La femme d’affaires qui aura 81 ans au début de novembre a donné son temps, son nom et son visage à son entreprise de cosmétiques pendant presque quatre décennies avant de la vendre.

Les lendemains de la transaction n’ont pas été aussi faciles que prévu, m’a-t-elle confié. Elle pensait qu’on la consulterait, qu’elle aurait peut-être un siège au conseil. Mais non. « Donc, je suis vraiment tombée à la retraite », se rappelle-t-elle.

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Lise Watier, en 2013, lors de la conférence de presse où elle annonçait céder les rênes de son entreprise.

J’ai trouvé ça très, très dur. J’étais assidue, j’allais au bureau tous les jours. Je travaillais du matin au soir. Je me prenais rarement des lunchs. Mais ne me plaignez pas d’avoir trop travaillé, j’adorais ça !

Lise Watier

Même si elle avait environ 70 ans à l’époque, l’idée de ne rien faire de ses journées ne l’enchantait guère. Elle a beaucoup voyagé et s’est lancée dans une foule de projets pour continuer d’exercer sa créativité, comme la rénovation et la décoration de condos en Floride, afin de les revendre.

Émotivement aussi, il y avait un vide.

Lise Watier a senti qu’elle avait abandonné son équipe qu’elle avait tant chérie, ce qui lui pesait. D’ailleurs, ces personnes lui manquent encore, après toutes ces années. Elle craignait aussi que les nouveaux propriétaires « fassent des niaiseries » qui nuiraient à ce qu’elle avait mis une vie à construire. « Il y a eu de petits accrochages. J’ai même appelé quelques fois. Mais ça s’est réglé. C’est comme donner son enfant en adoption. Tu te demandes toujours comment il va… »

Plus on s’investit dans quelque chose, plus le renoncement est éprouvant.

Mais Marilou et les autres entrepreneurs peuvent se rassurer. Il y a moyen d’atténuer le choc… tout en retenant qu’il est normal de ressentir un vide important. Ce qui est anormal, c’est que ce vide nous rende malades, insiste la présidente de l’Ordre des psychologues du Québec, Christine Grou.

Comment faire pour vivre une transition heureuse ? Il faut s’assurer d’avoir « bâti des liens significatifs » en dehors de son travail, de l’entreprise qu’on a construite, répond Mme Grou. Quand on cesse de se présenter au bureau et d’avoir des interactions professionnelles, il importe de compenser en voyant ses petits-enfants, les membres d’un club sportif, ses amis ou des bénévoles.

La variété des intérêts, les projets, les passe-temps et les passions feront aussi toute la différence.

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Christine Grou, présidente de l’Ordre des psychologues du Québec

La vie, c’est un peu comme une tarte. Les gens qui montent une entreprise sont des gens pour qui le travail a pris beaucoup de place. Alors si ça prend toute la place, le jour où on prend sa retraite, le vide est énorme.

Christine Grou, présidente de l’Ordre des psychologues du Québec

L’entrepreneur a aussi la responsabilité de se demander ce qui le définit. Il faut être capable de s’identifier à autre chose que son entreprise. Il importe aussi de réaliser que ce qu’on a bâti « fait partie de notre statut social » et de nos réussites, même si on a passé le flambeau. Tout cela permet de maintenir son estime, ce qui fait partie des « facteurs de protection » du futur retraité.

Le parallèle avec la retraite des joueurs professionnels et des athlètes olympiques saute évidemment aux yeux.

Quand on a constamment été en groupe, avec un entraîneur, des coéquipiers, du soutien professionnel, se retrouver seul à la maison, tous les jours, provoque forcément un choc. Peu importe les millions dans son compte de banque. Avoir les moyens de voyager, d’aller au spa toutes les semaines et de manger au restaurant quotidiennement n’efface pas le vertige provoqué par la perte de repères. Le rythme est différent, la dynamique à la maison aussi.

À la retraite, le sentiment d’être utile, si valorisant, s’éclipse. La stimulation intellectuelle suscitée par la résolution de problèmes n’est plus. Il faut trouver un but à sa vie, comme me l’a raconté Robert Meunier, fondateur de l’entreprise Maestro Technologies, spécialisée dans les logiciels pour le secteur de la construction.

À 58 ans, il a accepté une offre d’achat arrivée plus tôt que prévu. Il s’est alors retrouvé fortuné et… inoccupé. « Au début, c’était le fun, mais après un an, je n’en pouvais plus. Je m’emmerdais ! » Après « beaucoup d’introspection », en pleine pandémie, l’entrepreneur a réalisé ce qui lui manquait : un objectif.

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Robert Meunier, fondateur de l’entreprise Maestro Technologies

J’avais une grande volonté d’indépendance financière. Quand je l’ai atteint, je me suis demandé c’était quoi mon but. Je faisais beaucoup de vélo, j’allais au gym, je faisais du ski, mais c’était vide de sens.

Robert Meunier, fondateur de l’entreprise Maestro Technologies

À tort, Robert Meunier avait prévu que ses investissements à titre d’Ange l’occuperaient assez. Il avait aussi sous-estimé l’impact qu’aurait la fin de sa vie sociale professionnelle. « J’étais très impliqué dans tout l’écosystème de la construction. Et là, il n’y avait plus de golf, de C.A., de congrès, de soupers-bénéfice, de voyages. Tout ça a disparu du jour au lendemain. »

Trois ans plus tard, l’homme d’affaires a retrouvé son enthousiasme. Il est de plus en plus occupé à « redonner à la société », à titre de coach et de mentor pour de jeunes entrepreneurs. Un nouveau rôle qui lui fait le plus grand bien.

Pour donner un sens à sa vie, Lise Watier se consacre à sa fondation, elle suit des cours d’italien, envisage de recommencer le piano, « peut-être en ligne avec Gregory Charles », et fera du bénévolat à compter du printemps. Elle s’assure d’avoir un objectif par jour, sinon elle ne serait « pas endurable », me dit-elle en riant.

Comme quoi le bonheur après l’entrepreneuriat existe. Mais il se peut que le chemin pour s’y rendre soit long et escarpé si la préparation est défaillante. Mieux vaut faire preuve de prévoyance, comme Marilou, pour éviter les écueils.

Consultez l’ensemble des textes de notre section spéciale « Marilou Bourdon, directrice invitée »