Les jeux ne sont pas faits, les amis, loin de là. Les grévistes ne sont pas à la veille de ranger leurs pancartes, et les parents de retrouver un semblant de vie normale.

À entendre les chiffres qui circulent, la contre-offre du Front commun équivaudrait à une hausse salariale d’environ 25 % sur cinq ans. Le Front commun exige d’avoir l’inflation prévue sur la durée de la convention (18,1 %), en plus d’un certain facteur d’« enrichissement ».

L’écart est encore abyssal entre les deux parties, donc ; il avoisine les 12 points de pourcentage, Québec ayant haussé sa proposition à 12,7 % sur cinq ans mercredi.

Depuis le début, le Front commun réclamait une hausse équivalant à 23 % sur trois ans, et avec cette contre-offre, on passerait à environ 25 % sur cinq ans.

Ce qui est clair, c’est que le mouvement syndical accepte d’allonger la durée du contrat, qui passerait de trois ans pour se rendre jusqu’à cinq ans, possiblement, comme le demande le gouvernement.

Depuis le début, la demande d’enrichissement au-delà de l’inflation était de 9 % sur trois ans. La contre-offre ne précise pas le nouveau chiffre sur cinq ans, selon ce que j’entends dans les deux camps, mais il pourrait être question de 9 % sur cinq ans au lieu de trois ans ou encore d’un taux moindre.

Ce taux moindre pourrait ressembler à l’écart cité dans l’étude de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) parue le 30 novembre. Selon l’ISQ, l’écart défavorable de la rémunération globale des employés du gouvernement par rapport au marché est de quelque 7 %. Cet écart tient compte de la valeur des régimes de retraite, des vacances, des congés, des horaires de travail et de tout le reste.

Vendredi matin, le premier vice-président de la CSN, François Enault, a déclaré lors d’une conférence : « On a un rattrapage [à faire], vous le savez, vous avez vu l’ISQ. On parle de 7 % en rémunération globale, plus la clause d’indexation. C’est ce qu’on demande⁠1. »

Dès que le chiffre de 7 % a été écrit dans La Presse, toutefois, le Front commun s’est empressé de communiquer avec les journalistes pour leur dire que ce n’est pas la hausse d’enrichissement qui est expressément réclamée, sans en dire plus.

Pour la partie patronale, l’enrichissement demandé reste on ne peut plus flou, et la contre-offre est interprétée comme une demande de rattrapage de 9 % sur cinq ans au lieu de trois ans. Tout au plus, Québec a interprété que le Front commun avait une marge de jeu sur le 9 %.

Chose certaine, pour l’inflation, le mouvement syndical tient mordicus à ce qu’elle soit mesurée pour chaque année civile à compter de 2022, même si le contrat de travail débute le 1er avril 2023.

Comme argument, le Front commun avance que les hausses salariales sont basées sur l’inflation de l’année précédente, comme c’est le cas des paramètres généraux d’indexation fiscale du gouvernement et des rentes de Retraite Québec. La partie patronale conteste cette interprétation.

L’enjeu est important. En 2022, l’indice des prix à la consommation (IPC) a atteint un sommet à 6,7 %. En ajoutant les prévisions des quatre années civiles suivantes du ministère des Finances – la référence commune –, les demandes pour l’inflation atteignent 18,1 % sur cinq ans.

Pour sa part, le gouvernement non seulement omet l’année 2022, mais base son calcul de l’inflation sur une année débutant le 1er avril 2023 (son année financière), plutôt que le 1er janvier. Cet écart de trois mois n’est pas négligeable, sachant que l’inflation a commencé à chuter au 2trimestre de 2023, un an après le début de la guerre en Ukraine.

Bref, pour Québec, l’inflation des cinq années du contrat est de 12,7 % sur cinq ans, et l’offre du mercredi 6 décembre reflète exactement cette hausse. Québec y ajoute des primes spéciales pour certains groupes, entre autres, représentant 2,5 %.

Autre désaccord sur les salaires : le gouvernement juge qu’il n’y a aucun rattrapage à faire, contrairement au Front commun. La raison ? L’écart de 7 % par rapport au marché cité par l’ISQ englobe les comparables des secteurs municipal et fédéral, notamment. Or, ces deux secteurs surpayent leurs employés au Québec depuis longtemps, fait-on valoir.

Le gouvernement préfère comparer avec le seul secteur privé, comme toujours, et à cet égard, l’ISQ conclut qu’il n’y a aucun écart de rémunération globale⁠2.

Autre élément : les enseignants réclament une hausse salariale minimale de 4 % par année civile – donc 20 % sur cinq ans – afin que leurs salaires comblent l’inflation et rejoignent la moyenne canadienne. Selon la dernière analyse de Statistique Canada, l’écart salarial des enseignants du Québec par rapport à la moyenne canadienne est de quelque 8 % ⁠3.

Le hic, c’est que le coût de la vie est d’environ 10 % plus bas au Québec, notamment pour le logement et l’électricité. En intégrant cet aspect du coût de la vie, l’écart avec les autres provinces devient inexistant.

En somme, les deux camps sont encore loin de s’entendre sur les clauses salariales. Les positions sont d’autant plus éloignées que le Front commun ne veut pas précisément inscrire dans les conventions le taux d’inflation selon les prévisions à venir, ayant été échaudé dans la dernière convention.

Il veut plutôt laisser la vague expression « hausse selon l’IPC », comme ça s’est vu à la fin des années 1970, ce que refuse la partie patronale.

Ce que j’en pense ? Que la partie syndicale prend beaucoup trop de temps à faire une contre-offre sérieuse, après les deux redressements d’offre faits par le gouvernement. Et avec une proposition gonflée avoisinant les 25 % sur cinq ans, elle risque de perdre la bataille de l’opinion publique si elle ne s’ajuste pas rapidement.

1. Lisez « Négociations du secteur public : le Front commun a soumis une contre-offre salariale »

2. En plus, l’étude de l’ISQ exclut les entreprises de moins de 200 employés, donc les PME, qui paient généralement moins leurs employés, ce qui rend la comparaison avantageuse pour les employés du gouvernement par rapport à l’ensemble du secteur privé.

3. Consultez les salaires comparés ici dans la chronique « Éducation : surprise, le Québec dépense plus qu’ailleurs »