J’ai le plus grand respect pour les enseignants qui ont choisi de débrayer sans fonds de grève. Leurs sacrifices montrent à quel point ils veulent du changement.

Mais une question se pose : les grévistes seront-ils perdants, au bout du compte, en combinant pertes de salaires et hausses de rémunération ?

Et sous l’autre angle, le gouvernement fait-il poireauter les enseignants dans le but d’économiser pour financer les augmentations ?

Deux réponses, à mon avis. Pour les jeunes, les pertes de salaires seront amplement comblées par les gains à long terme. Pour certains vieux employés, toutefois, l’équation sera perdante.

La somme en jeu ? Depuis le début des grèves, Québec a économisé 1,3 milliard de dollars en rémunération non versée, selon les calculs minutieux d’un économiste de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ), auxquels j’ai eu accès. Les calculs ont été réalisés à partir des données financières du gouvernement du Québec.

La somme est fort impressionnante. Pour l’estimer, la CSQ a essentiellement calculé la masse salariale par jour des différents groupes et multiplié le tout par leur nombre de jours de grèves respectifs depuis le début des « hostilités ».

L’écart entre les groupes varie selon le nombre de grévistes et de jours de grève, essentiellement (voir tableau). Par exemple, les enseignants de la FAE sont en grève depuis plus longtemps, mais ils comptent 66 500 membres, comparativement à 225 000 pour la CSQ et 80 000 pour la FIQ.

Présentée autrement, en éducation, une journée de grève fait économiser 14,6 millions au gouvernement avec la FAE et 62 millions avec le Front commun (écoles et cégeps, enseignants et personnel de soutien).

En santé, une journée de grève représente des économies de 35,8 millions avec le Front commun et 29,3 millions avec les syndiqués de la FIQ.

Évidemment, ces économies supposent que le gouvernement ne fera pas récupérer les jours perdus par les employés après la signature des conventions. L’économie nette pourrait être moindre, donc, si le gouvernement prolonge le calendrier scolaire ou demande des heures supplémentaires aux infirmières pour rattraper les opérations retardées.

Est-ce une perte pour les grévistes ? Essentiellement non, selon moi. Je ne suis pas le plus grand syndicaliste, mais je suis convaincu que dans un conflit de travail, les moyens de pression des syndiqués finissent par forcer l’employeur à bonifier ses offres.

Depuis le début, d’ailleurs, Québec a révisé son offre salariale, la faisant passer de 9,3 % sur 5 ans à 10,3 %, puis à 12,7 %. François Legault a laissé miroiter une autre hausse s’il obtient une certaine flexibilité de la part des enseignants et des infirmières, notamment.

Surtout, il faut comprendre que l’économie de 1,3 milliard est ponctuelle, alors que les hausses salariales seront récurrentes et donc ajoutées aux dépenses du gouvernement – et aux salaires des employés – à chacune des prochaines années.

Par exemple, une hausse de 1 % de la rémunération dès l’année 1 de la convention coûte environ 414 millions par année au gouvernement, estime la CSQ.

Ainsi, si les syndiqués réussissent à extirper 3 points de pourcentage de plus au gouvernement et que cette bonification s’applique dès la première année, le gain sera de 1,2 milliard au terme de cette première année (414 millions X 3).

Cette somme est pratiquement aussi importante que les salaires perdus par les syndiqués à ce jour. Et à chacune des années suivantes, ce gain de 1,2 milliard s’ajoute, pour totaliser 12 milliards sur 10 ans, par exemple, soit 10 fois les pertes de salaires.

Le corollaire, vous l’aurez compris, c’est que les gains seront moindres pour les grévistes qui prévoient quitter leurs postes avant longtemps. Par exemple, un employé de l’État qui prend sa retraite l’an prochain sera vraisemblablement perdant.

Pourquoi, concrètement ? Parce que dans l’offre bonifiée de 10,3 % qui a précédé les grèves, une part de 4,3 points s’appliquait dès la première année. Or, ce 4,3 % n’a pas changé dans la plus récente offre, si bien que pour ce futur retraité, les journées de grève ne lui auront pas fait obtenir davantage avant de tirer sa révérence.

Autre angle d’analyse : la comparaison des pertes de salaire avec le montant forfaitaire de 1000 $ promis par le gouvernement. Ces 1000 $ représentent autour de 470 millions pour l’ensemble des employés, selon la CSQ. Les pertes de 1,3 milliard en salaires sont donc trois fois plus importantes que le montant forfaitaire.

Il n’y a pas que les salaires, bien sûr. Les enseignants, par exemple, espèrent faire des gains dans la composition de la classe, ce qui pourrait leur rendre la vie plus facile au cours des prochaines années. Et ce gain n’est pas nécessairement chiffrable.

Quoi qu’il en soit, je crains que les grévistes ne soient déçus des résultats, vu leurs sacrifices et leurs très grandes attentes. Leur lutte aura immanquablement apporté des gains, mais l’école du Québec, pour prendre ce secteur, ne sera pas complètement transformée, une fois la nouvelle convention signée.

Les millions de la FAE

J’ai été enseveli de réactions pour ma chronique « Les millions de la FAE », publiée vendredi. J’aimerais revenir sur deux éléments.

D’abord, les sept membres de l’exécutif de la FAE, notamment Mélanie Hubert, ne sont pas payés pendant la grève, comme leurs syndiqués. En revanche, la quarantaine d’employés permanents de la FAE (conseillers syndicaux, personnel administratif, etc.) sont évidemment payés.

À la CSQ, la situation est un peu différente. Les membres de l’exécutif, comme le président Éric Gingras, perdent le salaire du poste qu’ils occupaient (enseignant dans le cas de M. Gingras) durant les jours de grève, mais continuent de toucher la portion additionnelle qui leur est attribuée pour les fonctions de dirigeant. La CSQ me dit que cette portion est moindre que le salaire d’un enseignant.

Je n’avais pas abordé cette question dans la chronique, mais vous m’avez avidement demandé cette information.

Par ailleurs, j’ai écrit dans cette chronique que les membres de la FSE n’avaient pas voté pour une grève générale illimitée, contrairement à ceux de la FAE. C’est inexact : les enseignants de la FSE, membres du Front commun, ont voté en faveur de grèves par séquences pour commencer, suivies de la grève générale illimitée éventuellement. Mea culpa.